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temps, comme elle a devant les yeux cette unité multipartite des cieux qu’elle doit voir un jour, elle s’écrie dans les transports de sa joie et de son bonheur : « Tes places publiques, ô Jérusalem, seront pavées de l’or le plus pur et l’on chantera l’Alléluia au milieu de tous tes carrefours (Tob., xiii, 22). » Or, par ces places publiques et ces carrefours, il faut entendre des couronnes et des gloires différentes, de même que par l’or, le seul métal dont l’écrivain sacré représente la sainte cité ornée, ainsi que par l’Alléluia qui doit y être chanté, on doit comprendre une beauté unique composée de plusieurs beautés différentes, et le même sentiment de bonheur partagé par une multitude d’esprits.

9. Il n’y a donc point qu’un seul sentier, parce qu’il n’y a pas qu’une seule demeure où l’on doit tendre ; c’est à chacun de voir quel sentier il doit prendre et à ne pas se tenir loin de la justice, parce qu’il y a plusieurs voies qui y conduisent ; car à quelque demeure que le sentier où nous nous serons engagés nous mène, ce sera toujours à la maison du père de famille qu’il nous aura conduits. Cela n’empêche pas que, de même que « entre les étoiles, l’une est plus éclatante que l’autre, il en soit ainsi de la résurrection des morts (Corinth., xv, 41) ; » car si les justes doivent briller comme le soleil dans le royaume de leur Père, parmi eux, les uns brilleront plus que les autres, à cause de la différence de leurs mérites. Pour ce qui est de ces mérites, il faut bien savoir qu’il ne nous est pas aussi facile dans cette vie qu’il le sera dans l’autre de les discerner, attendu qu’en ce monde, nous ne voyons que les œuvres, et que, dans l’autre, nous verrons de plus le fond des cœurs ; car alors le soleil de justice, répandant partout ses rayons, on verra distinctement apparaître le secret même des cœurs, et de même qu’aujourd’hui nul n’échappe à sa chaleur, ainsi plus tard, nul ne sera à couvert de sa splendeur (Psalm. xviii, 7). Et même, pour ce qui est des œuvres visibles, non-seulement il n’est pas sûr, mais souvent il est dangereux de vouloir les juger, puisqu’il arrive bien souvent que ceux qui les accomplissent ne sont pas justes en proportion de la multitude de leurs œuvres.

Chapitre V.

Saint Bernard fait entendre des paroles sévères aux religieux qui jalousent et déprécient les autres ordres.

10. Tout cela me conduit à m’adresser en ce moment à ceux de notre ordre qui, en dépit de cette recommandation de l’Apôtre : « Ne jugez point avant le temps, mais suspendez votre jugement jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui exposera à la lumière ce qui est caché dans les ténèbres et qui produira au grand jour, les plus secrètes pensées des cœurs Saint Bernard blâme les religieux de son ordre. (I Corinth., iv, 5), » méprisent, dit-on, les autres ordres religieux, et s’établissent seuls juges, au détriment de la justice de Dieu même. Assurément, s’il s’en trouve qui agissent ainsi, ils n’appartiennent ni à notre ordre ni à aucun autre, pour dire la vérité ; car quiconque vit selon la règle et s’échappe en paroles orgueilleuses, se range parmi les citoyens de Babylone, c’est-à-dire de confusion, ou plutôt se montre enfant de ténèbres, vrai fils de l’enfer, de ce lieu d’où tout ordre est absent et où règne une éternelle horreur (Job, x, 22). C’est donc à vous que je m’adresse, à vous, mes frères, qui,