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excellence et hors de nous par l’immensité de leur majesté. Mais tout cela est beaucoup trop élevé et demande d’être exposé avec un soin tout particulier par un docteur autre que moi et dans un traité plus étendu que celui-ci. Je m’étais en effet proposé, en traitant toutes ces matières, de ne pas dépasser le cadre d’une lettre, mais je m’aperçois que j’ai été beaucoup plus long que je ne l’avais pensé. Appelez donc ce que je vous envoie un livre ou une lettre, comme bon vous semblera ; pour moi, je n’ai dû me proposer, en ce que j’ai fait, que de vous contenter, soit que je vous répondisse en peu de mots ou que le fisse plus longuement.




Avertissement sur le cinquième opuscule.




I. Rien ne souleva plus les esprits contre saint Bernard, que son livre contre les moines de Cluny. Ils étaient alors en si grande odeur de sainteté dans le monde, et en si grand nombre qu’on ne pouvait les attaquer sans attaquer en quelque sorte l’univers entier et s’attirer un nombre infini d’adversaires. Cet ouvrage trouve encore aujourd’hui des censeurs qui le regardent comme le fruit d’un zèle outré, parce qu’ils ne font pas attention que saint Bernard a été inspiré et envoyé de Dieu pour laver l’Église de ses souillures, et surtout pour réparer les brèches faites à la discipline monastique, en faire renaître l’éclat et la splendeur et déclarer la guerre aux vices qui en altéraient alors la pureté première. Il n’est donc pas sans importance de savoir en quel temps et sous quel titre notre Saint a publié cet écrit, d’examiner si ce qu’il reproche aux Clunistes est effectivement mal ou bien, si ce ne sont que des usages qu’on pouvait tolérer, et enfin s’il le leur reprochait à tort ou à raison.

II. Quant au titre de cet opuscule, saint Bernard l’appelle lui-même, n. 15, une simple lettre en disant : « Je devrais terminer là cette lettre pour qu’elle conserve le caractère d’une lettre, etc. ; » et, vers la fin, il le nomme un opuscule, en parlant d’Oger, qui ne voulait pas le quitter sans emporter avec lui « son dernier opuscule. » Geoffroy, dans sa Vie de saint Bernard, livre iii, chapitre viii, l’appelle son Apologétique. « Veut-on savoir, dit-il, combien fut ardent son zèle contre les vices des autres et contre les siens propres ? qu’on lise l’écrit qu’il appelle Apologétique. » D’un autre côté, notre Saint l’a désigné lui-même sous le nom d’Apologie, dans sa lettre dix-huitième où, en donnant au cardinal Pierre la liste des ouvrages qu’il a composés, il dit : « J’ai écrit aussi une Apologie que j’ai dédiée à un de mes amis ; j’y traite de quelques-unes de nos observances, c’est-à-dire des observances de Cîteaux et de celles de Cluny. » Saint Bernard ayant lui-même appelé cet opuscule, son Apologie, nous lui conservons ce titre, que d’ailleurs on lui donne généralement.

III. D’après cette même lettre dix-huitième, qui fut écrite en 1127, on peut assez bien conjecturer à quelle époque saint Bernard écrivit son Apologie. D’abord, il est certain qu’elle est un de ses premiers écrits, il est même cité le troisième dans la liste qu’il donne de ses traités au cardinal Pierre, et vient après son livre de l’Humilité et ses quatre Homélies sur les gloires de la Vierge-Hère, sur ce passage de saint Luc : « L’ange Gabriel fut envoyé… » et avant quelques lettres dont ce saint Docteur fait aussi mention. On peut donc la placer en 1125. vers les premiers temps de Pierre le Vénérable, qui succéda à l’abbé Hugues II, en 1122, six mois après que l’abbé Ponce, sous qui la discipline régulière s’était considérablement relâchée, se fut démis de sa charge d’abbé. Il n’est donc pas étonnant que saint Bernard ait trouvé beaucoup à redire dans son Apologie qu’il rédigea à la prière de Guillaume, abbé de Saint-Thierry, qu’on croit avoir été de l’ordre de Cluny. Comme presque tous les monastères des moines noirs suivaient les usages de Cluny, à l’époque où se forma la congrégation de Cîteaux, qui en avait de