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Une fureur me vient saisir
Qui s’irrite contre les hommes.
Ô mœurs ! dis-je, ô monde brutal !
Faut-il que le plus fier metal
Plus que toy se montre sensible !
Faut-il que, sans te reformer,
Une pierre dure au possible
Te fasse honte en l’art d’aymer !

Mais ô pourquoy me plains-je ainsi
Du peu d’amitié qui se trouve,
Si ce grand Duc qui règne icy
Pour moi tout le contraire prouve !
Ne reçoy-je pas tous les jours
Autant en effets qu’en discours
Des marques de sa bien-vueillance,
Et n’aquerrois-je pas le nom
Du cœur le plus ingrat de France
Si ma bouche disoit que non ?

Voylà comme en me reprenant
Avec ces dernieres parolles
Sur mon bon-heur m’entretenant,
Je rends les premieres frivolles ;
Voylà comme, selon l’objet,
Mon esprit changeant de projet,
Saute de pensée en pensée.
La diversité plaist aux yeux,
Et la veue en fin est lassée
De ne regarder que les cieux.

Tantost comme un petit batteau
Dans la bonace non suspecte,
J’apperçoy voguer sur cette eau
Le nid que l’orage respecte :
Pour luy le flot amer est doux,
Aquilon retient son couroux,