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Que je devienne livre, et que mon casaquin
Soit de peau de mouton, ou bien de marroquin ;
Qu’on me crie au Palais comme un autheur insigne,
Que d’un bruit immortel tout le monde croit digne ;
Et qu’après, d’un badaut, pour moins d’un quart d’escu,
J’aille courir hazard d’estre le torche-cu.
Miserable destin bien souvent d’un Virgile,
Voire mesme par fois de la saincte Évangile,
Chose qu’avec horreur en maint infâme lieu
J’ay veue, ô sacrilège ! au grand mespris de Dieu ;
Ce qu’on devroit punir comme le plus noir crime
Dont l’enfer par nos mains contre le ciel s’escrime.
DoEt toutesfois encore estimeroy-je autant,
Dans le soucy d’honneur qui me picque en chantant,
Voir mes vers au privé, que les voir en la bouche
D’un censeur ignorant, qui, pour pierre de touche,
N’aura rien que le goust de son cerveau mal-sain,
Ou de quelque envieux, qui, cherchant à dessein
Quelque chose à reprendre aux plus parfaits ouvrages,
Leur fera, quoy qu’à tort, de sensibles outrages ;
Car je cannois un peu nos petits rimailleurs :
Ils s’aheurtent toujours aux endroits les meilleurs ;
La raison n’est jamais de leur intelligence ;
La richesse d’autruy choque leur indigence ;
Leur lousche entendement est un traistre animal.
Pour avilir un vers, ils le prononcent mal ;
Ils ont l’oreille fausse à la juste harmonie ;
Leur esprit est crevé sous le faix du génie ;
L’excez de la splendeur leur offusque les sens,
Et, bien que criminels, ils sont fort innocens.
Aussi leur pardonnay-je en quoy qu’ils veuillent dire,
Faisant désormais vœu de n’en faire que rire,
Il est bien vray, mon duc, mon souverain appuy,
Que je ne pense pas qu’il se trouve aujourd’huy
Rien qui puisse ternir ma gloire legitime,