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excellentes, on peut dire qu’elles sont très-imparfaites. Si la peinture ne trompe les yeux, elle les offense ; si la musique ne charme les oreilles, elle les blesse ; et, si la poësie ne nous ravit et n’eslève l’ame au dessus de sa matière, elle est d’autant plus ridicule qu’elle est digne d’admiration lorsqu’elle est montée à ce poinct qui la fait nommer le langage des dieux. Aussi n’a-t’elle rien que de sublime : ses ornemens sont tous riches, et, bien que ses graces soient dans la naïfveté et que ses beautez soient toutes naturelles, si est-ce qu’elle veut tousjours estre accompagnée d’esclat et de pompe. Elle a je ne sçay quels rayons de divinité qui doivent reluire partout, et, lorsque ce feu manque de l’animer, elle n’a plus de force qui la puisse rehausser au dessus des choses les plus vulgaires. Ceste chaleur, que les anciens ont appellée genie, ne se communique qu’a fort peu d’esprits, et ne se fait principalement remarquer qu’aux descriptions, qui sont comme de riches tableaux où la nature est représentée : d’où vient que l’on a nommé la poësie une peinture parlante. Et de faict, comme elle est le plus noble effort de l’imagination, on peut dire aussi que son plus noble chef-d’œuvre est celuy de bien descrire. C’est ceste partie qui ne se peut acquerir, non plus que ces graces secrettes qui nous ravissent sans que nous sçachions la cause de nostre ravissement ; et c’est par là que ces grands hommes qui ont mérité les tiltres de divins et de sacrez sont montez à ceste gloire immortelle qui refleurit en tous les siecles. Il ne faut voir que les vers de Monsieur de Saint-Amant pour connoistre qu’il a pris dans le ciel plus subtilement que Promethée ce feu divin qui brille dans ses ouvrages. Neantmoins, cette ardeur d’esprit et ceste impetuosité de genie qui surprennent nos entendemens et qui entraisnent tout le monde après elles ne sont jamais si desreiglées qu’il n’en soit tousjours le maistre. Son jugement et son imagination font un si juste temperament et sont d’une si parfaite intelligence, que l’un n’entreprend rien sans le secours de l’autre. Aussi sont-ce deux parties dont l’union est tellement necessaire que, quand l’une des deux vient à manquer, ce n’est plus ou que sterilité ou que confusion. En effect, l’on void ordinairement que ces esprits violents, de qui les secondes pensées n’ont jamais corrigé les premieres, ressemblent à ces torrents qui se precipitent pour ne faire que du mal ; mais