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Et qu’en mes vers on voye un Chastelus[1],
Veut qu’un accord, non de voix, ni de luts,
Mais d’instruments turquesques et sauvages,
Face à l’entour retentir les rivages ;
Et cet estrange et barbare concert
Ne laisse pas d’esgayer le dessert.
Tandis, de l’œil remarquant tout le monde,
En ce beau gouffre où la misere abonde,
Où dans l’horreur d’un devoir inhumain
On voit agir et la corde et la main,
Où le plus foible abbat le plus robuste,
Où la justice enfin devient injuste,
Et par l’excès d’un severe tourment
Fait voir un crime au lieu d’un chastiment,
Je dis en moy, par maniere d’estude :
Ô merveilleuse ! ô puissante habitude,
De la nature ou la fille ou la sœur,
Qui convertis l’amertume en douceur,
Et dont la force acquert un tel empire
Sur les humeurs de tout ce qui respire,
Qu’elle regit les sens et la raison,
Et fait qu’un corps peut vivre de poison !
Que ton secours est grand, est admirable !
Que c’est une aide utile au miserable !
Et qu’à l’endroit mesme des animaux
Cette aide est propre à soulager les maux !
Par ce moyen, ô changement estrange !
L’anthipatie en amitié se change ;
Par ce moyen les cerfs et les lyons
Sans repugnance au joug nous allions ;
Par ce moyen nos bestes domestiques,

  1. Cet ami de Saint-Amant avoit fait partie de l’expédition des îles de Lérins sous le comte d’Harcourt. Il commandoit, dans l’escadre de Normandie, la Marguerite, de 200 tonneaux.