Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chez ce cher hoste, aussi froid que verglas,
J’aurois esté des premiers à sa porte
Pour t’embrasser d’une estreinte si forte,
Qu’un mois après tes deux petits costez
En eussent dit : Of ! nous sommes gastez.
Et tant s’en faut que dans cette demeure
J’eusse manqué de te rendre à toute heure
Ce que l’amour exige d’un amy,
Qui comme moy n’ayme point à demy ;
Tant s’en faut, dis-je, ame par trop changée,
Que ta presence eust esté negligée.
L’aspre desir de sa possession
Faisoit alors ma seule passion
Je m’en allois jusqu’en cette province
Où plein d’honneur tu vis en petit prince,
Où ta fortune au gré de ta vertu,
Brille et te traitte à bouche que veux-tu.
J’allais te voir en ton noble mesnage,
Où l’on m’a dit qu’ardent au jardinage,
Tu ne fais plus que fouyr, que planter,
Qu’arbre sur arbre en la saison enter ;
Qu’en bonne terre espandre la semence ;
Qu’un travail fait, soudain l’autre commence,
Et qu’en cela prenant ton seul deduit,
Il t’en revient maint agreable fruit.
Je voulois voir en ton sejour champestre
Comme des soins une ame se depestre ;
Je voulois voir cet antique palais
Où bien-heureux, tu connois que tu l’es ;
Où ton repos se fonde et s’ediffie
Sur le rocher de la philosophie,
Où l’on t’adore, où tu manges ton bien,
Non comme un fat qui ne parle que chien,
Mais comme un homme à qui dans maint beau livre,
Maint sage mort aprend l’art de bien vivre ;