Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Embrassez-vous, aimez-vous comme freres ;
Et vostre sel, tant chery de mes sœurs,
Sera conjoint à nos pures douceurs[1].
À ces beaux mots, qui d’un goulet sortirent,
Mes champions leur fureur amortirent ;
La paix fut faite, et moy, de tous accords,
Je resolus de m’en traiter le corps.
Sur ce dessein je commanday qu’en haste
On fist bastir un grand palais de paste,
Pour avec l’ail, l’anchoye au teint vermeil,
Le poivre blanc et le clou nompareil,
Loger en roy ce jambon que je prosne,
Ce digne mets qui des mets tient le trosne,
Et par qui seul, les juifs estant morguez,
Les bons chrestiens des Turcs sont distinguez :
Car, quand au jus que l’Alcoran prohibe,
Des moins nigaux la lippe s’en imbibe ;
Ils en sont fous, et n’observent ce poinct
Qu’en leur dormir ou lors qu’ils n’en ont point.
Dès que le four eut accompli l’ouvrage,
Dès que chés moy, tout chaud et sans naufrage,
Ce beau jambon, cet illustre pasté[2],
Couronne en chef, fut en pompe apporté,

  1. Dans les Jeux de l’inconnu, recueil facétieux attribué au comte de Cramail, on trouve (p. 162, édit. de 1645) une curieuse piece intitulée Nopces, Nopces, Nopces. La est résolue l’alliance du bœuf et de la moutarde, de l’orange et de la perdrix. — « Sçachant avec quelle fidelité le jambon ayme la bouteille, faisons-les coucher ensemble, afin qu’elle puisse soulager le feu de son amant et la soif des beuveurs. » Ce passage se complète par les vers où Saint-Amant parle de leurs « caresses muettes, de leurs agréables signes, de leurs longs regards. » — Voy. aussi les Fleurs, fleurettes et passe-temps, indiqués note 1, p. 342.
  2. On a vu plus haut Saint-Amant loger son jambon dans