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Chantant : Lampons[1], à gueule mal instruite,
Vint sur ses pas me presenter au nez
Un roquefort, mais des plus raffinez.
Si tu sçavois les carresses muettes
Que ces amours des friandes luettes
Se firent lors, ou qu’on eust dit au moins
Qu’ils se faisoient, ravissant les temoins ;
Si tu sçavois leurs agreables signes,
Leurs longs regars, les uns des autres dignes,
Ton cœur, emeu de leur pronte amitié,
Se trouverait plus gay de la moitié.
Il est bien vray que l’aspre jalousie
Sema soudain devant la malvoizie
Quelque grabuge entre les deux amans
Qui se montroient si doux et si charmans,
Et qu’à l’aspect de ces vingt belles fées
Beaucoup plus d’eux que d’estoupes coiffées[2],
Peu s’en falut qu’on ne vist ces rivaux
Prests à monter dessus leurs grands chevaux ;
Mais d’un glou-glou, l’une des mieux aprises,
Craignant enfin qu’ils n’en vinssent aux prises,
Semble crier : Tout beau, vieux Roquefort !
Contente-toy que l’on t’estime fort ;
Et toy, l’espoir d’une superbe table
Où se doit faire un banquet delectable,
Puissant ragoust, héroïque jambon,
Sois asseuré qu’on te tient bel et bon.
Refrenez donc vos injustes coleres,

  1. C’étoit un refrain alors très connu que celui-ci :

    Lampons, camarades, lampons.

  2. C’est-à-dire, avec un calembour, beaucoup plus amoureuses, plus coiffées d’eux (du fromage et du jambon), que coiffées (bouchées) d’étoupes. Au lieu de boucher les bouteilles avec du liège, en Italie, on préserve le vin du contact de l’air avec de l’huile qu’on verse dessus, et qui surnage, et avec de l’étoupe.