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Et si tost qu’à l’estrier mon pied je veux offrir,
Il tremousse, il regimbe, il se cabre, il tempeste,
Il me tourne la crouppe, il fait enfin la beste,
Et je voy, non sans peur, de mes yeux estonnez,
Que de mainte ruade il me frize le nez.
Il faut bien, ô Phebus ! que durant mon absence,
Depuis cinq ou six mois, d’une injuste licence,
Quelque rimeur de bale[1], impertinent et vain,
Quelque enigmatiseur, quelque sot escrivain,
Ait osé le monter, ou qu’en le menant boire
Dans le sacré ruisseau des Filles de memoire,
Quelque anagramatiste, en guise de valet,
L’ait rendu par ses mains plus quinteux qu’un mulet !
Si tu l’avois permis, beau sire, je te jure
Qu’aux coursiers de ton char je ferois quelqu’injure,
Et qu’en les descrivant je les despeindrois tels,
Qu’au lieu d’avoir le nom de chevaux immortels
Qui sur un champ d’azur, faisant leur course ronde,
Promenent l’or qui brille aux yeux de tout le monde,
ll n’est point de mazette entre Paris et Can[2],
De pietre haridelle, opprobre d’un encan,
De traisneur de fumier, de fange et de gadoue,
Qui ne les incagast, qui ne leur fist la moue,
Et ne crust icy-bas leur pouvoir disputer
La gloire que là-haut ils veulent emporter.
Mais je me plains à tort, mon soupçon est un crime :
Tu ne l’as point souffert, grand autheur de la rime !

  1. Le rimeur de balle, c’est le rimeur de pacotille. Cette locution est très usitée au XVIIe siècle. Scarron, dans une fort belle pièce, sérieuse et digue, intitulée Cent quatre vers contre ceux qui font passer leurs libelles diffamatoires sous le nom d’autruy, l’a employée, ainsi que Molière dans les Femmes savantes :

    Allez, rimeur de balle, opprobre du métier !

  2. Caen.