Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/338

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poupe ; l’air estoit serain, la mer calme, le ciel net, pur et lumineux, et l’on eust dit que la terre de l’Europe et de l’Affrique s’abaissoit en certains endroits autour de nous par respect, et se haussoit en d’autres par curiosité. Enfin, si je ne retenois la bride à la fougue poétique qui, malgré moy, se voudroit bien couler dans ma prose, je dirois que, quelque frayeur qu’eust l’Espagne de nostre puissance et de nostre courage, elle ne se pouvoit tenir d’admirer nostre somptuosité et nostre bel ordre, et de temoigner de prendre plaisir à voir les verges mesmes qui la devoient chastier. Mais comme ces matieres-là sont du gibier des vers, je croy que ma muse ne s’y sera pas epargnée, et que peu de gens s’en fussent mieux acquittez que moy parmy le bruit et la multitude d’un vaisseau, ou ces belles dames de Parnasse n’ont gueres accoustumé de se trouver. Je me suis joué sur les noms de quelques navires, autant que la fable, l’histoire ou la nature l’ont pu permettre, et me suis estendu à decrire particulierement la pompe de celuy du roy et de la patache nommée la Cardinale. Et je pense que l’on ne me brocardera point de m’estre voulu commenter moy-mesme pour avoir mis quelques apostilles en la marge de cet ouvrage, afin de donner l’intelligence de quelques termes que les plus doctes ne sçavent pas, ny ne sont pas mesme obligez de sçavoir s’ils n’ont le pied marin. J’y en ay mis encor quelques autres sur des choses qui ne sont pas communes et que les plus raisonnables ne trouveront point inutiles. Qui n’entendra le reste, à son dam. Au surplus, si nous eussions combatu en ce destroit, comme nous ne fismes point, ou par la laschete, ou par l’impuissance des Espagnols, qui n’y oserent venir, j’eusse employé d’autres couleurs en la composition de ce tableau que je ne fis ; il n’y auroit rien paru que d’heroïque et de sérieux, et, sans vanité, j’eusse fait voir, comme j’espere que nostre Moyse fera quelque jour, que nous ne sommes pas plus mal adroits à nous servir de la trompette ou de la lyre que de la fluste ou de la guiterre. Mais, ne s’estant versé que du vin en cette journée, au lieu du sang que nous nous attendions de repandre, je le continuay du mesme air que je l’avois commencé, et inseray dedans, par maniere de prophetie, selon les bons tours du mestier, le combat donné quelque temps après entre nostre armée navale et les galeres d’Espagne, devant le chasteau de