Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/336

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aux moindres vetilles, je ne conseilleray jamais a personne de l’entreprendre. Je m’y suis pleu de tout temps, parce qu’aymant la liberté comme je fais, je veux mesme avoir mes coudées franches dans le langage. Or, comme celuy-là embrasse, sans contredit, beaucoup plus de termes, de façons de parler et de mots que l’heroïque tout seul, j’ay bien voulu en prendre la place le premier, afin que, si quelqu’un y reussit mieux après moy, j’aye à tout le moins la gloire d’avoir commencé. On peut dire qu’il est de ces pieces comme de ces balets grotesques qui, estant dancez d’ordinaire par les plus excellens baladins sur les airs du mouvement le plus admirable, plaisent plus aux spectateurs, avec leurs habits estranges, leurs masques bizarres et leurs postures merveilleuses, que ne font ces balets serieux, ces moralitez muettes, dont les demarches sont trop ajustées, et où le plus souvent il ne se voit rien de beau que l’eclat et la magnificence. C’est assez : changeons de discours, et venons à l’argument de nostre caprice heroï-comique.

Les Espagnols, dont l’ambition est plus grande que la terre, et à qui les nouveaux mondes ne suffisent pas, s’estant saisis des isles de Sainte-Marguerite et de Sainct-Honorat, situées en la coste de Provence, nostre invincible monarque, dignement secondé, en toutes ses glorieuses entreprises, des graves et sublimes conseils du grand cardinal duc de Richelieu, fit assembler en la rade de l’isle de Ré une armée navale la plus puissante et la mieux equippée que la France eust mise de long-temps sur l’Ocean, afin que, faisant voile d’une isle si fameuse par la honte de l’Angleterre, elle en allast rendre deux autres encore plus illustres par la honte de l’Espagne. Mais, comme ce n’est pas assez d’amasser de grandes forces si l’on ne sçait faire eslection d’un chef capable de les commander, Son Eminence, divine au choix des hommes aussi bien qu’en toutes les autres merveilles de sa vie, et comme ayant l’entiere superintendance de nos mers, nomma à Sa Majesté, pour en estre le general, ce brave et vaillant prince monseigneur le comte de Harcourt, de qui les miraculeuses actions sont aussi hautes, aussi eclattantes et aussi connues que le soleil, et par ce digne employ, luy donnant lieu d’exercer amplement sa rare conduite et son extraordinaire valeur, se le rendit deslors et à jamais redevable de toutes les belles choses qu’il a faites depuis