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PRÉFACE
DU PASSAGE DE GIBRALTAR.


Puisque, selon l’opinion du plus grand et du plus judicieux de tous les philosophes, le principal but de la poesie doit estre de plaire, et que la joye est ce qui contribue le plus à l’entretien de la santé, laquelle est une chose si precieuse en cette vie, qu’elle a esté preferée par les plus sages a la sagesse mesme, je tiens pour maxime indubitable que les plus gayes productions de ce bel art, qui, laissant les espines aux sciences, ne se compose que de fleurs, doivent estre les plus recherchées et les plus cheries de tout le monde. Ce n’est pas que je vueille mettre en ce rang les bouffonneries plattes et ridicules qui ne sont assaisonnées d’aucune gentillesse ny d’aucune pointe d’esprit, et que je sois de l’advis de ceux qui croyent, comme les Italiens ont fait autrefois à cause de leur Bernia[1], dont ils adoroient les elegantes

  1. Bernia, ou mieux Berni, naquit à Lamporecchio vers la fin du quinzième siècle. Il vécut assez pauvre a Florence jusqu’à dix-neuf ans et de la il se rendit à Rome, où il entra dans la maison du cardinal Bibbiena, qui, dit-il, ne lui fit ni bien ni mal, puis, à sa mort, dans celle de son neveu Angiolo, et enfin du dataire Giberti. Impatient de toute chaine, enclin à médire ami du plaisir et de la joie, il ne retira pas grand profit de ses services, mais fut très cher à tous les amis des lettres. Il mourut vers 1536. Dans son poème de l’Orlando innamorato, il trace un charmant portrait de lui-même dans les stances qui commencent par ces vers :

    Cou tutto ciò viveva allegramente.
    Ne mai troppo pensoso o tristo stava.
    Era assai ben voluto dalla gente…