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L’oreille d’un sanglier qu’à coups de hache on coupe,
Un lopin de renard, un pasté de guenon,
Un cervelas de chien, le rable d’un asnon,
Et mille autres fins mets que je ne puis decrire,
Sans froncer les nazeaux et m’egueuler de rire.
Ô Brie ! ô pauvre Brie ! Ô chetif angelot[1]
Qu’autrefois j’exaltay pour l’amour de Bilot,
Tu peux bien aujourd’huy filer devant ce diable :
Ton beau teint est vaincu par son teint effroyable ;
Tu m’es plus insipide auprès de son haut goust
Que l’eau ne le seroit auprès du friand moust,
Et ta platte vigueur, sous la sienne estouffée,
Est de ma fantaisie entierement biffée.
Au secours, sommelier, j’ay la luette en feu,
Je brusle dans le corps ! Parbieu ! ce n’est pas jeu :
Des brocs, des seaux de vin pour tacher de l’esteindre,
Verse eternellement, il ne faut point se feindre.
Escoute, cher marquis, escoute ton bedon :
Je croy que l’animal d’où provient ce beau don,
Au lieu du manger frais qui dans les prez se cueille,
Ne se nourrit que d’ail, que de tabac en fueille,
Que de rhue acre au goust, d’aluyne au suc amer,
Qu’il n’estanche sa soif qu’aux plages de la mer,
Et qu’au lieu de gruger de la vesce ou de l’orge,
De poivre seulement en l’estable il se gorge.

  1. Angelot, sorte de petit fromage carré, fort gras, qu’on fait
    en Brie. (Voy. Furetière.)