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M’efforcer à cligner les yeux :
L’effroy, me taillant des croupieres,
Par un effet malicieux,
Change en bezicles mes paupieres.

Maints faux rayons eparpillez
En fanfreluches lumineuses,
Offrent cent chimeres hideuses
À mes regards en vain sillez[1].
Ma trop credule fantaisie
En est si vivement saisie
Qu’elle-mesme se fait horreur ;
Et sentant comme elle se pame,
Je me figure en cette erreur
Qu’on donne le moine[2] à mon ame.

Que, si je pense m’endormir
Dans les momens de quelque treve,
Un incube aussi-tost me creve,
Et revaut je m’entr’oy gemir ;
Enfin mes propres cris m’eveillent.
Enfin ces demons s’emerveillent
D’estre quasi surpris du jour :
Ils font gille[3] à son arrivée,

  1. Fermés. — Le verbe siller, dont on trouve encore de frequents exemples au XVIIe siècle, est perdu. Nous avons conservé le composé dessiller.
  2. Avoir le moine, expression proverbiale, c’est être trompé. — Donner, bailler le moine, signifie causer le malheur de… to bring ill luck unto (Cotgrave). — Donner le moine, dit Furetière, c’est une malice de page, — qui consiste (Dict. com. de Le Roux) à attacher à l’orteil d’une personne endormie une ficelle que l’on tire pour l’éveiller.
  3. Faire gille ou Gilles, s’enfuir. Selon Furetière, ce proverbe vient de ce que saint Gilles, prince de Languedoc, s’étoit enfui de peur d’être fait roi.