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Par le cruel effet d’une si pronte absence,
Dont le coup m’outrageoit avec tant de licence,
Que je fus plus d’une heure avant que de sçavoir
Ce que j’avois à faire en ce nouveau devoir.
Tantost je m’ingerois, j’entens de la pensée,
De courir après elle, et, la teste baissée,
M’en aller dans sa chambre à ses beaux yeux m’offrir ;
Mais mon sage respect ne le pouvoit souffrir ;
Tantost je portois l’œil en haut à sa fenestre
Pour voir si, comme un jour qui ne fait que de naistre,
Au travers de la vitre opposée à mon bien,
De cet astre caché je n’appercevrois rien ;
Et, me voyant frustré de cette chere attente,
Le sein enfle de dueil, la face mal contente,
Après avoir enfin remarqué la maison
Où gist de ma douleur la seule guerison,
Après m’estre informé, d’une voix curieuse,
Du beau nom et du rang de ma victorieuse.
Afin d’en concevoir ma perte ou mon salut,
Je me laissay porter où mon destin voulut.
En ce resveur estat je fay toute la ville,
Heurtant l’un, choquant l’autre, et d’une ame incivile,
Sans saluer amy, dame, ny cordon bleu,
Sur l’eau, pour quelque temps, je promene mon feu.
Les passans du Pont-Neuf, considerans ma mine,
Dans l’estourdissement qui sur mes sens domine,
Pensent que je sois yvre, et, me montrans au doigt,
Jugent du plus caché par ce que l’on en voit.
Las ! je l’estois aussi, mais qu’aucun ne m’en blâme :
Je l’estois d’avoir beu d’un breuvage de flame
Qui se prend par les yeux et qui va droit au cœur,
Où l’amour l’introduit en guise de liqueur.
Delà, favorisé de mon heureux genie,
Qui m’assista toujours durant cette manie,
Au coucher de Phebus je fus tout estonné