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Où les heureux esprits sont payez de leurs peines,
Treuve-t’on rien d’esgal au bien que j’ay gousté
Devant ce bel objet dont je suis enchanté ?
Trois ans s’estoient coulez depuis que ma franchise,
Après avoir rompu les chaisnes de Belise
Et fait sauver mon cœur esclave en sa prison,
Avoit remis mes sens au train de la raison ;
Je m’en glorifiois mesme avec insolence,
Quand cet archer ailé, de qui la vigilance
Est tousjours en embusche afin de r’atraper
Ceux qui de ses liens se pensent eschaper,
Me tendant un filet, s’en vint à l’impourveue
Jetter sur moy la main au detour d’une rue,
Où plein d’estonnement je me vis arresté,
Où ravy j’adoray cette illustre beauté,
Qui comme une autre Flore apparoissant couverte
Des tresors du printemps et d’une robe verte,
Et se monstrant debout sur le pas de son huis,
Me combla pour jamais de mille doux ennuis.
Ô destin ! m’escriay-je en voyant ces merveilles,
Ce precieux amas de graces nompareilles,
En quel piege mortel, à force d’estre beau,
M’as-tu conduit icy pour choir dans le tombeau !
Je n’eus pas le loisir d’achever cette plainte,
Que, me laissant navré d’une profonde atteinte,
Elle se retira plus viste qu’un esclair
Qui nous vient esblouir et qui se pert en l’air ;
Et combien que ce fut par une semble allée
Qu’elle prit son chemin ou plustost sa vollée,
Le glorieux esclat de ses divins attraits
Illumine le lieu long-temps encore après.
Mais, une obscurité s’emparant de mon ame,
Malgré cette lumiere et celle de ma flame,
Aussitost me frapa d’un tel aveuglement
Et mit un tel desordre en mon entendement