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Qui tous trois sans pareils en graces amoureuses,
Rendant comme les yeux les oreilles heureuses,
Donnent aux moindres mots des charmes si puissans
Par les gestes diserts et les tons ravissans,
Que l’Éloquence mesme à sa bouche attachée,
D’oser luy repartir seroit bien empeschée.
Ô bouche ! ô belle bouche ! ô quand on vous entend,
Quand on vous oit chanter, dieux ! que l’on est content !
Un doux air qui murmure et passe entre des roses
Ne nous fait point sentir de si divines choses.
Hé ! chantez donc toujours  ; vos rubis animez
Ne devroient, ce me semble, estre jamais fermez.
Toutesfois je me trompe : amour veut qu’ils se taisent,
Afin qu’en se pressant eux-mesmes ils se baisent.
Nul n’en est digne qu’eux ; je n’en suis point jalous.
Levres, baisez-vous donc, sans cesse baisez-vous,
Mais non pas sans parler ; le silence est un crime
À quiconque en beaux traits si noblement s’exprime ;
Faites et l’un et l’autre en discourant d’aymer,
Prononcez-en le mot, ou daignez me nommer,
Et j’auray cette gloire, en l’ardeur qui m’emporte,
D’estre dans vos baisers admis en quelque sorte.
Ha ! je me laisse aller à trop d’ambition ;
C’est changer le respect en indiscretion.
Dites-moy que je meure, et (joyeux de vous plaire)
On me verra soudain obeir et le faire.
Ouy, je mourray joyeux si vous me l’ordonnez :
Aussi bien les ennuis qui me sont destinez
Estans trop violens pour estre perdurables,
Mettront bien-tost un terme à mes jours miserables.
Enfin, pour revenir à mon triste sujet,
J’ay d’un accès facile approché cet objet ;
J’ay de cette beauté de tant d’attraits pourveue,
Satisfait à plaisir mon ouye et ma veue ;
J’ay, si je l’ose dire, ô supreme bon heur !