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écrivains contemporains de sa jeunesse ; je voudrois que l’on comprit bien aussi son rôle parmi les fondateurs de notre gloire littéraire.

Dire que notre littérature a commencé à Malherbe, c’est méconnoître la nature de l’esprit bumain, qui n’arrive jamais sans avoir marché. Nous avions avant Malherbe une série d’œuvres, dont le caractère bien tranché se détache complètement de celui qu’il imprima à ses poésies.

Écrivains pleins d’élan et de verve, capricieux, badins et folâtres, les prédécesseurs de Marot et ses successeurs jusqu’à Ronsard, dans leurs poésies si légères et si malignes, étoient fidèles au vieux caractère gaulois : ils étoient eux-mêmes. Leur pensée s’étendoit sans contrainte et sans entraves ; leur vers se produisoit facile et spontané, copie exacte de la pensée, non dans sa forme précise et définie, mais dans son élaboration lente et successive, habile à détacher le trait caustique d’une mordante ironie, impropre à retracer les grands sentiments dans leur majestueuse gravité.

Vint Ronsard, vint du Bellay, vint Baïf, toute une pléiade enfin de jeunes et savants écrivains qui, désireux de donner à la langue une dignité qui lui manquoit, la clouèrent sur le lit de Procuste d’une littérature étrangère. Audacieux pour détruire, timides pour réédifier, ils crurent avoi rà renverser le monument qu’ils devoient achever. Exclusifs dans leur système, faux comme tout système, au lieu de greffer sur l’arbre sauvage des écrivains gaulois le rameau cultivé par les poètes grecs et latins, ils essayèrent de l’abattre : entreprise au dessus de leurs forces. Vaincu, mais non soumis, l’esprit familier et populaire de nos premiers écrivains reparut, mûri par l’âge, dans les vers de Régnier, tandis que le génie d’une imitation plus intelligente, fécondée par son admiration pour les modèles de l’antiquité, se perpétuoit à son insu dans les vers de Malherbe. Héritier de ces deux écoles antagonistes, Saint-Amant marcha à la fois sur les traces de Malherbe et sur celles de Régnier : élève du premier dans les poèmes sérieux qui l’occupèrent à la fin de sa vie, disciple du second