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Il parle plus loin du gentil papillon,

Qui porte, de la part du lys,
Un baiser a la rose.

Qui songerait à attribuer de tels vers à l’auteur de la Crevaille ou de la Chambre du Debauché, à ce joyeux ami des orgies, du tabac, du vin et des femmes ?

Car c’étoit un rude admirateur de la beauté que Saint- Amant, toujours prêt à quitter Belise pour Amaranthe, et celle-ci pour Philis. En 1631, il étoit en Angleterre, où il chantait l’amour de leurs sérénissimes majestés d’une façon, selon moi, fort indiscrète. Je ne sais jusqu’à quel point le cœur de Saint-Amant étoit ouvert à l’amour :

Je n’ay point sitost dit que j’ayme
Que je sens que je n’ayme plus

Étoit-ce l’habitude de son temps ou de ses compatriotes ? Saint-Amant ne tenoit guères plus à paroître sincère que le grand Corneille ; il va jusqu’à nous prémunir contre l’effet de ses larmes.

Malgré cet avis qu’il nous donne pour nous mettre en garde, nous croirions volontiers à cet amour qu’il a chanté pour une Amaranthe avec un luxe de sincérité, avec un charme de poésie vraiment supérieur : on en jugera à la lecture de l’élegie qu’il lui adresse.

Je ne connois qu’une passion à laquelle Saint-Amant soit reste fidèle : c’est celle qu’il a chantée si souvent pour la bouteille ; et sa réputation étoit bien établie, puisque Vion Dalibray, le mordant auteur des soixante-treize épigrammes de l’Anti-Gomor, assied son renom de buveur sur celui de Saint-Amant :

Je me rendray du moins fameux au cabaret ;
On parlera de moy comme on fait de Faret.
Qu’importe-t-il, amy, d’où nous vienne la gloire ?
Je la puis acquérir sans beaucoup de tourment,
Car, grâces a mon Dieu, déjà je sais bien boire,
Et j’ay fait la débauche avecque Saint-Amant.

Dans un autre sonnet, il s’adresse à Saint-Amant lui- même : Toi, lui dit-il,

Toi qui, comme Bacchus, as bu par tout le monde,