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Le Melon.

Soudain en ramassa la cocque harmonieuse,
Avec quoy, d’une main aux arts ingenieuse
Aussi bien qu’aux larcins, tout à l’heure qu’il l’eut,
Au bord d’une riviere il fit le premier lut.
Ainsi, de cette escorce en beauté sans pareille
Fut fabriqué là-haut ce charmeur de l’oreille,
D’où sortit lors un son, par accens mesuré,
Plus doux que le manger qu’on en avoit tiré.
Là maintes cordes d’arc, en grosseur differantes,
Sous les doigts d’Apollon chanterent des courantes ;
Là mille traits hardis, entremelez d’esclats,
Firent caprioller les pintes et les plats ;
Le plus grave des Dieux en dansa de la teste,
Et le plus beau de tous, pour accomplir la feste,
Joignant à ses accords son admirable vois,
Desconfit les Titans une seconde fois.
Voilà, chers auditeurs, l’effet de ma promesse ;
Voilà ce qu’au jardin arrousé du Permesse,
Terpsicore au bon bec, pour qui j’ay de l’amour,
En voyant des melons me prosna l’autre jour.
J’ay treuvé qu’à propos je pouvois vous l’apprendre,
Pour descharger ma ratte et pour vous faire entendre
Que je croy que ce fruit, qui possede nos yeux,
Provient de celuy-là que brifferent les dieux :
Car le roy d’Helicon, le demon de ma veine,
Dans le coin d’un mouchoir en garda de la graine,
Afin que tous les ans il en pust replanter,
Et d’un soin libéral nous en faire gouster.
Ô manger précieux ! délices de la bouche !
Ô doux reptile herbu, rampant sur une couche !
Ô ! beaucoup mieux que l’or, chef-d’œuvre d’Apollon !
Ô fleur de tous les fruits ! Ô ravissant melon !
Les hommes de la cour seront gens de parolle,
Les bordels de Rouen seront francs de verolle.
Sans vermine et sans galle on verra les pedents,