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Et cinquante courriers du roy,
Ne sont pas si crottez que moy.
J’ay veu nostre fou de poëte
Avec ses yeux de chouette.
Sa barbe en feuille d’artichaut,
Et son nez eu pied de réchaut ;
Il est d’une humeur plus fantasque
Que le son d’un tambour de basque.
Vous le voyez sur le Pont-Neuf,
Tout barbouillé d’un jaune d’œuf,
Depuis sept heures jusqu’à onze
Faire la cour au roy de bronze[1].
Tous ceux qui le rencontrent là
Demandent : Qu’est-ce que cela ?
Et s’arrestent à voir sa trongne
Comme à voir celle d’un yvrongne
Qui, plus rond que n’est un bacque,
À chaque pas darde un hocquet
Et semble vous faire la moue,
Traisnant son manteau dans la boue.
L’un croit que c’est un loup-garou,
L’autre un vieux singe du Pérou ;
Cestuy-là que c’est une austruche,
Cestuy-cy que c’est une cruche ;
Et, dans ces jugements divers,
L’un dit que monsieur de Nevers
A des chameaux en son bagage
De sa taille et de son langage.
Ses pauvres vers estropiez
Ont des ampoulles sous les piez
À force de courir les rues ;
Chez lui les Muses, toutes nues,

  1. La statue d’Henri IV, sur le Pont-Neuf, étoit en bronze comme celle qui l’a remplacée.