Page:Saint-Amant - Œuvres complètes, Livet, 1855, volume 1.djvu/167

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Mais que dis-je ? ô bons dieux ! quoi, je parle d’absence ?
Ma bouche, ozes-tu bien prendre cette licence,
Cependant que mon cœur que je sens murmurer.
Dit qu’il mourroit plûtost que de s’en separer ?
Te croirois-tu capable, après cette parole,
Que malgré tes projets je veux rendre frivole,
Et pour qui te sont deus des tourmens inhumains,
De baiser quelque jour l’yvoire de ses mains ?

Ô malheureux propos ! ô perfide pensée,
Qui ne sçauroit partir que d’une ame insensée !
Moy, que je vous quittasse, ô mon divin soleil !
Que jamais ma raison approuvast ce conseil !
Non, non ; plustost Neptune abandonnera l’onde,
Le Destin laissera la conduite du monde,
L’ombre fuira le corps, et l’amour le plaisir,
Avant que j’accomplisse un si lasche desir.

Et, combien que la gloire à toute heure m’appelle
Pour aller de mon bras effrayer la Rochelle,
Ou repousser l’effort des orgueilleux Anglois,
Que l’un de mes ayeux a vaincus autresfois,
Je fay la sourde oreille, et, renonçant aux armes,
Mes yeux treuvent en vous tant d’attraits et de charmes,
Que, quelque mauvais bruit que j’en puisse encourir,
Aupres de vos beautez je veux vivre et mourir.