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Sers-la donc, cher Damon ; mets y toute industrie,
Pousse tes sentimens jusqu’à l’idolatrie :
Les Dieux t’excuseront pour un sujet si beau.
En tout cas ne crains point la rigueur du tombeau.
Quand quelque deïté s’en tiendroit offencée,
Tu garderas tousjours cecy dans ta pensée,
Que, depuis qu’un mortel une fois a gousté
De ce manger divin en l’Olimpe appresté,
De ce mets precieux qu’on appelle ambroisie,
On peut asseurement croire sans frenesie
Qu’il est exempt d’aller en ces tristes manoirs
Où Charon a passé tant de fantomes noirs.

Hé ! n’en goûtas-tu pas quand tu baisas Orante,
Quand je te vy pasmé sur sa bouche odorante,
Et que ses doux regards te firent revenir ?
Ô combien vivement tu t’en dois souvenir !

Et puis, quand tu mourrois pour l’avoir adorée,
De quel plus beau trespas pourrait estre honorée
Une vie où l’amour fait voir sa passion
Jusques au plus haut point de la perfection ?
Mais, ô le vain discours où s’engage ma Muse !
Que je suis aveuglé ! que ma raison s’abuse !
Puis qu’on la tient deesse entre les immortels,
On peut bien sans peché luy dresser des autels.

Sers-la donc, cher Damon, revere son empire,
Jamais à d’autre but ta volonté n’aspire ;
Jamais autre beauté ne se loge en ton cœur,
Et jamais autre objet n’en puisse estre vainqueur.
Fay-la tirer au vif comme elle est dans ton ame,
Et puis, pour signaler ton courage et ta flame,
Arme-toy fierement d’un superbe harnois,
Et va chercher par tout les plus fameux tournois,
Deffiant au combat, d’une ardente menace,
Quiconque osera dire, enflé de vaine audace,
Que la beauté qu’il sert s’egale au moindre trait