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Et toutefois, helas ! ce ne seroit que roses
Si les jours ne m’offroient de plus horribles choses.
Cet astre qu’on reclame avec tant de desirs
Et de qui la venue annonce les plaisirs,
Ce grand flambeau du ciel, ne sort pas tant de l’onde
Pour redonner la grace et les couleurs au monde,
Avec ses rayons d’or si beaux et si luisans,
Que pour me faire voir des objets deplaisans.
Sa lumiere, inutile à mon ame affligée,
La laisse dans l’horreur où la nuit l’a plongée ;
La crainte, le soucy, la tristesse et la mort,
En quelque lieu que j’aille, accompagnent mon sort.
Ces grands jardins royaux, ces belles Tuilleries,
Au lieu de divertir mes sombres resveries,
Ne font que les accrestre et fournir d’aliment
À l’extreme fureur de mon cruel tourment.
Au plus beau de l’esté je n’y sens que froidure,
Je n’y voy que ciprès, encore sans verdure,
Qu’arbres infortunez tous degouttans de pleurs,
Que vieux houx tous flestris et qu’espines sans fleurs.
L’echo n’y repond plus qu’aux longs cris de l’orfraye,
Dont le mur qui gemit en soy-mesme s’effraye ;
Le lierre tortu qui le tient enlacé,
En fremissant d’horreur, en est tout herissé ;
Semblable en sa posture à ces enfans timides
Qui, le corps tout tremblant et les yeux tous humides,
Embrassent leur nourrice alors que quelque bruit
Les va dedans leur couche epouventer la nuit.
Si j’y rencontre un cerf, ma triste fantaisie
De la mort d’Actéon est tout soudain saisie ;
Les cygnes qu’on y void dans un paisible estang
Me semblent des corbeaux qui nagent dans du sang ;
Les plaisans promenoirs de ces longues allées,
Où tant d’afflictions ont esté consolées,
Sont autant de chemins à ma tristesse offers