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Et, decouvrant la rive où le Destin l’envoya,
Hesite à l’aborder, tant il sent de douceur
D’estre d’un tel plaisir encore possesseur.
Mais, preferant enfin, sans plus le faire attendre,
Le bien de le sauver à celui de l’entendre.
ll tire droit au port avec legereté,
Et, mettant en effet toute dexterité,
Évite sagement les funestes approches
Des bancs et des écueils, des gouffres et des roches,
Où l’effroy, le peril, le naufrage et la mort
Brassent à mainte nef un deplorable sort.
Arion, tout ravy de gaigner le rivage,
Vouant aux immortels un fidelle servage,
Regarde autour de luy fourmiller les poissons,
Qui, suivant jusqu’au bord ses divines chansons,
S’elancent haut en l’air d’allegresse infinie,
Et, pour prendre congé de sa douce harmonie,
Au plus profond de l’eau tout à coup se noyans,
Agitent sa surface en cercles ondoyans,
Qui petit à petit de ses yeux disparoissent,
Se perdans l’un dans l’autre à mesure qu’ils croissent.
Celuy qui sur son dos l’a sauvé de danger.
D’un faix si glorieux se voulant decharger,
Quoy que par ce moyen de bonheur il se prive,
Plein d’aise et de regret s’approche de la rive,
Le pose doucement au plus commode lieu,
Et, faisant un grand saut, luy semble dire adieu.
Ainsi, par un secours si puissant et si rare,
Se voyant mettre à terre au pied du mont Tenare,
Après tant de hazards et de malheurs souffers,
Il trouva son salut aux portes des enfers.
Invincible heros, dont la valeur m’etonne,
Reçoy ces nouveaux fruits que ma muse te donne ;
Estime-les un peu, prens-y quelque plaisir :
C’est le plus beau loyer où butte mon desir ;