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Là, pour l’entendre mieux, l’effroyable baleine,
Aussi bien que les vents retenoit son haleine :
Là, ceux que la nature a fait naistre ennemis,
Et dont les sentimens furent lors endormis,
Sans qu’aucune dispute y semast des alarmes,
Se laissoient pesle-mesle attirer à ces charmes ;
Là, les eaux et les airs demeuroient en repos,
De crainte d’interrompre un si divin propos :
Là, le ciel, attentif à ces douces merveilles,
Eust bien voulu changer tous ses yeux en oreilles ;
En fin l’on y voyoit, d’un et d’autre costé,
Reservé les humains, tout plein d’humanité :
Car ces ames de bronze, ô chose bien estrange
Ces corsaires cruels, que nul objet ne change,
Aucun trait de douceur ne pouvans concevoir,
Ny pour tous ces beaux chants tant soit peu s’émouvoir,
Les glaives nuds au poing, inspirez des furies
Qui portent les humeurs dedans les barbaries,
Courent vers Arion d’un violent effort
Pour luy ravir ses biens et luy donner la mort.
Le bon pilote, emeu du mal qu’il en presage,
Ainsi que fit le ciel, se cacha le visage,
Et detourna la teste afin de ne voir pas
De ses yeux innocens ce criminel trepas.
Comme on voit des roseaux la souple obeyssance
Fleschir facilement sous la fiere puissance
Des aquilons emeus, soufflans de toutes pars,
Qui pourraient ebranler les plus fermes rampars,
Tout de mesme on voyoit Arion sur la pouppe,
Ceder à la fureur de cette avare trouppe,
Et par des actions pleines d’humilité,
Essayer d’attendrir leur dure cruauté.
Mais, voyant à la fin qu’il n’estoit pas possible
De toucher, quoy qu’il fist, leur courage inflexible,
Et, ne sçachant non plus en quel lieu se cacher,