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Le sanglant desespoir ayant fait son entrée,
Comme fait un tyran dans quelque lieu forcé
Où la confusion a tout bouleversé,
Invoque les demons, profere maint blaspheme,
Conservant toutesfois en cette rage extreme
Le respect de Sylvie, et faisant son effort
À faire vivre Amour au milieu de la mort.
Celuy qui pour Dafné se vit en mesme peine,
Et ce dieu des bergers qui jadis, hors d’haleine,
Pensant prendre Syringue au bord des claires eaux,
N’embrassa pour un corps que de fresles roseaux,
Eurent tant de pitié de ce qu’en son martire
Un juste sentiment alors luy faisoit dire,
Qu’eveillans leur colere à ce tragique objet,
Ils jurerent soudain d’en punir le sujet.
L’effet suit la menace : on la voit transformée,
Cette ingrate beauté, si vainement aimée ;
Chacun de ses cheveux se herisse en rameau,
Et de superbe nymphe elle devient ormeau.
Durant qu’en cet estat ses pieds prennent racine,
Lyrian, assisté d’une faveur divine,
À le temps de l’atteindre et le bien de la voir,
Premier qu’il expirast, reduite en son pouvoir.
Dieux ! ce dit-il alors, qui par cette avanture
Enseignez à mes yeux ce que peut la nature,
Faites qu’à ce beau tronc si dur à la pitié
Mon cœur puisse à jamais montrer son amitié !
Il finit par ce mot pour en estre l’exemple,
Et son corps s’attachant à l’arbre qu’il contemple
Se change en mille bras tournoyans à l’entour,
Dont il acquit le nom de symbole d’amour ;
Bref, ce fidelle amant n’est plus qu’un beau lierre,
Qui, sur la tige aimée, en s’elevant de terre,
Cherche en sa passion, qu’il tasche d’appaiser,
La place où fut la bouche, afin de la baiser.