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À cette belle Nymphe au courage inhumain.
Elle s’en offença. Dieux ! est-il bien croyable
Qu’une telle amitié luy fut desagreable ;
Qu’un orgueilleux dedain, comme absolu vainqueur,
Luy fit naistre aussi-tost la haine dans le cœur ;
Que ces chiffres d’amour si remplis de mysteres
Ne furent à ses yeux que de vains caracteres,
Et qu’elle les pût lire avecques ce penser
De ne les plus revoir que pour les effacer !
Las ! il n’est que trop vray, mais cette ame farouche
Ne s’en contenta pas : il fallut que sa bouche,
S’accordant à son cœur, plus dur qu’un diamant,
En prononçât l’arrest à ce fidelle amant.
Que ne luy dit-il point pour luy servir d’excuse !
Quelles vives couleurs n’employa point sa muse
À luy representer que cette affection,
S’autorisant en luy par la perfection
Des rares qualitez qui reluisent en elle,
Ne se pouvoit qu’à tort appeler criminelle,
Si la justice mesme et la raison aussi,
Qui font aimer les dieux, ne s’appeloient ainsi ;
Que l’astre souverain, dont la haute puissance
Regissoit les mortels au poinct de sa naissance,
Par un decret fatal ordonné dans les cieux,
Le voulut destiner à servir ses beaux yeux ;
Et que, quand son vouloir s’y fust rendu contraire,
Ses sentimens forcez n’eussent pu s’en distraire ;
De sorte que son ame, en sa captivité,
Ne faisoit qu’obeir à la necessité !
Ce n’est pas, disoit-il, qu’au milieu de ses chaisnes
D’un esprit tout content il n’en benist les gesnes ;
Qu’il n’estimast ce joug si doux et si plaisant,
Que la plus libre humeur l’eust treuvé peu pesant,
Et que, malgré le sort, de qui la violence
S’opposoit à son bien avec tant d’insolence,