scène qu’il faut lire dans les mémoires laissés par Lonchamp, le valet de chambre de Voltaire ; il ne fallait rien moins qu’un pareil historiographe pour nous transmettre ce récit intime. Avec une audace toute féminine, elle veut faire croire à Voltaire qu’il s’est exagéré les choses et qu’elles n’ont pas été aussi loin qu’il l’imagine ; mais Voltaire est sûr de son fait, il a vu, ce qui s’appelle vu. Elle se retourne alors, elle avoue ce qui ne peut être nié, mais elle explique la situation. « Faut-il pour si peu renoncer aux douceurs d’un commerce où tous deux ont trouvé de tels charmes ? Que Voltaire y réfléchisse. Rien ne désunit leurs esprits, leurs tempéraments seuls sont devenus différents ; elle n’est pas comme lui, que l’âge et les maladies ont attiédi et à qui sa santé commande le repos. Pourquoi dès lors ne pas s’accommoder de la situation que les circonstances ont créée et qui n’est pas faite pour porter atteinte à leur amitié ? » Voltaire, décontenancé, à demi furieux, à demi attendri, finit par rire à travers ses reproches. Il était désarmé, et madame du Châtelet triomphait.
Il restait encore à calmer Saint-Lambert, qui se regardait comme grièvement offensé. Ce ne fut pas difficile : elle lui représenta ce qu’il y aurait de monstrueux, de ridicule même pour un homme comme lui, — il avait trente ans, — à provoquer un vieillard illustre dans toute l’Europe. Dès le lendemain, Saint-Lambert, convenablement chapitré, assez embarrassé pourtant de sa contenance, vient s’expliquer avec Voltaire. Il commence quelques mots d’excuses, mais Voltaire ne le laisse pas achever ; il lui prend les mains, les serre avec effusion. « Mon enfant, s’écrie-t-il, j’ai tout oublié, et c’est moi qui ai eu tort. Vous êtes dans l’âge heureux où l’on aime, où l’on plaît ; jouissez de ces instants trop courts : un vieillard, un malade comme je suis, n’est plus fait pour les plaisirs. »