Page:Saigey - Les Sciences au XVIIIe siècle.djvu/214

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’habitaient Antoine et Bernard, on vit arriver un jour un troisième frère, Joseph, celui qui avait fait partie de l’expédition de Bouguer et de la Condamine. Resté en Amérique bien longtemps après ses compagnons, il revenait tout à fait épuisé ; son intelligence ruinée ne conservait plus même le souvenir de ses longs voyages. Ses frères n’osèrent pas le montrer à l’Académie, qui l’avait élu, en 1743, pendant son absence ; mais ils ne cessèrent jusqu’à sa mort de lui prodiguer à leur foyer les soins les plus affectueux,

Antoine mourut en 1758, et Bernard continua seul le travail commun, accumulant avec patience de précieux matériaux que sa modestie l’empêchait de livrer au public. En 1765, il appela auprès de lui un jeune neveu, Laurent de Jussieu, alors âgé de dix-sept ans. Il en fit son élève, il lui communiqua la méthode de classification des plantes à laquelle l’avaient conduit ses longs travaux, et il lui confia toutes les richesses scientifiques qu’il avait amassées en silence. Le monde d’ailleurs ne se trompait pas sur le mérite de Bernard. Sans qu’il eût presque rien publié, chacun savait ce qu’il valait, et peu à peu son nom était devenu célèbre dans toute l’Europe. À sa recommandation, Buffon fit monter le jeune Laurent, âgé de vingt-deux ans, dans la chaire de botanique du Jardin du roi. Bernard n’avait jamais voulu faire de leçons publiques ; il se défiait de sa parole ; et il se contenta des modestes fonctions de démonstrateur du cours dont son neveu venait d’être chargé. On vit donc le vieux savant, assis à côté de son élève chéri, tendre d’une main émue au jeune professeur les plantes qu’il lui avait appris à connaître. Bernard mourut en 1777, et c’est en 1789 seulement que Laurent publia le Genera plantarum secundum ordines naturales disposita. « Ce livre, dit Cuvier, marque dans les sciences d’observation une époque aussi importante que la