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LA PHYSIQUE DE VOLTAIRE.

maine que sa mère possédait dans le Poitou. Ce détail choqua le chevalier de Rohan, et, rencontrant à l’Opéra l’auteur de la Henriade : « Ah ! çà, lui dit-il, comment vous appelle-t-on décidément ? Est-ce mons Arouet ou mons de Voltaire ? — Monsieur le chevalier, répondit Voltaire, il vaut mieux se faire un nom que de traîner celui qu’on a reçu. » On sait comment le chevalier se vengea de cette répartie. Un jour que Voltaire dînait chez le duc de Sully, on vint l’avertir qu’un carrosse l’attendait devant la porte de l’hôtel ; il descendit aussitôt, et fut saisi par des laquais qui le frappèrent à coups de bâton. Le chevalier, du fond de son carrosse, assistait à cette exécution et encourageait ses gens. « Frappez, frappez, disait-il, seulement ménagez la tête, il en peut encore sortir quelque chose de bon. »

Ce chevalier de Rohan, comme on voit, avait le mot pour rire. Il avait aussi l’oreille des ministres et celle du lieutenant-criminel, si bien que Voltaire, pour avoir voulu poursuivre la réparation de son injure, fut d’abord embastillé, puis contraint de passer de l’autre côté de la Manche.

L’Angleterre était dès lors un pays libre, où la nation faisait elle-même ses affaires, et où la dignité des citoyens était inviolablement garantie par les lois. Les institutions politiques d’une pareille nation étaient de nature à exciter l’intérêt d’un exilé qui venait de recevoir des coups de bâton sur la terre du bon plaisir et qui avait dû fuir devant son ennemi sans en tirer vengeance.

La littérature anglaise lui offrait en même temps de riches sujets d’étude ; mais surtout l’Angleterre se distinguait par une sorte de rénovation des sciences. Depuis cent ans, Bacon avait posé les principes de la méthode expérimentale. On s’était habitué à considérer directement la nature, à l’interroger sans