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ROUELLE.

encore emprunter une figure originale. Rouelle, qui introduisit en France la doctrine du phlogistique, fondée par Stahl en Allemagne dans les premières années du xviiie siècle, peut représenter dans notre galerie un type sans lequel elle serait évidemment incomplète, le type du savant distrait, excentrique, qui met sa perruque et ses bas de travers. C’est Grimm, le nouvelliste de la philosophie et des sciences, qui nous a tracé le portrait de Rouelle. « Il était d’une pétulance extrême ; ses idées étaient embrouillées et sans netteté, et il fallait un bon esprit pour le suivre et pour mettre dans ses leçons de l’ordre et de la précision… Ordinairement il expliquait ses idées fort au long, et quand il avait tout dit, il ajoutait : Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne !… Il avait une si grande habitude de s’aliéner la tête, que les objets extérieurs n’existaient pas pour lui. Il se démenait comme un énergumène en parlant sur sa chaise, se renversait, se cognait, donnait des coups de pied à son voisin, lui déchirait ses manchettes sans en rien savoir. Un jour, se trouvant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait ses jarretières, tire son bas sur son soulier, se gratte la jambe pendant quelque temps de ses deux mains, remet ensuite son bas et sa jarretière, et continue sa conversation sans avoir le moindre soupçon de ce qu’il venait de faire. » Ce sont là distractions assez innocentes ; mais un chimiste peut en avoir de plus dangereuses. Une autre fois, Rouelle, faisant un cours devant une nombreuse assemblée, disait à ses auditeurs : « Vous voyez bien, messieurs, ce chaudron sur ce brasier ? Eh bien ! si je cessais de remuer un seul instant, il s’ensuivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air. » En disant ces paroles, il ne manqua pas d’oublier de remuer, et une formidable explosion vint aussitôt lui donner