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LA PHYSIQUE DE VOLTAIRE.

et l’homme lui-même desséché ; mais Telliamed n’y avait pas été voir.

On juge si Voltaire triomphe de cette étrange assertion : il fait payer cher à Telliamed sa crédulité au sujet de l’Esquimau ; il la fait expier même à Buffon, bien innocent dans cette circonstance, mais trop enclin d’ordinaire à croire Telliamed.

Du reste, c’est sur le ton de la plus grosse plaisanterie que Voltaire traite la question de la variabilité des espèces. Cette doctrine avait pris, dit-il, tant de crédit dès le commencement du siècle, que plusieurs personnes étaient persuadées qu’une sole pouvait engendrer une grenouille. « Il ne faut pour cela que des parties organiques de grenouilles dans les moules des soles. » Il raconte à cet égard la mésaventure arrivée à un célèbre chirurgien de Londres, Saint-André, qui, pendant le séjour de Voltaire en Angleterre, défendait de toutes ses forces la doctrine de la mutabilité des êtres. Une de ses voisines, pressée par la misère, résolut d’exploiter l’enthousiasme du chirurgien ; elle lui fît confidence qu’elle était accouchée d’un lapereau et que la honte l’avait forcée de se défaire de son enfant. Saint-André répand aussitôt dans Londres cette aventure, où il voit la confirmation de son système. Au bout de huit jours, la femme le fait venir dans son galetas et lui dit qu’elle est près d’accoucher encore ; Saint-André la délivre en présence de deux témoins, et amène au jour un petit lapin qu’il va montrant de tous côtés comme le fils de sa voisine. Quelques-uns crient au miracle ; Saint-André et les siens affirment que la chose est conforme aux lois de la nature ; tous donnent de l’argent à la mère des lapins. Elle trouva le métier si bon, qu’elle accoucha toutes les semaines. Mais la police, incrédule à l’endroit de la mutabilité des espèces, vint mettre un terme à son commerce et surprit le procédé qu’elle employait pour