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chants animaux m’auroient rendu aueugle beaucoup de fois, comme on m’auoit aduerty, et ainsi en estoit-il arriué à d’autres, qui en perdirent la veuë par plusiurs iours, tant leur picqueure et morsure est 73|| venimeuse à l’endroict de ceux qui n’ont encore pris l’air du pays. Neantmoins pour toute diligence que ie pus apporter à m’en deffendre, ie ne laissay pas d’en auoir, le visage, les mains et les iambes offencés. Aux Hurons, à cause que le pays est descouuert et habité, il n’y en a pas si grand nombre, sinon aux forests et lieux où les vents ne donnent point pendant les grandes chaleurs de l’Esté.

Nous passasmes par plusieurs Nations Sauuages ; mais nous n’arrestions qu’vne nuict à chacune, pour tousiours aduancer chemin, excepté aux Épicerinys et Sorciers, où nous seiournasmes deux iours, tant pour nous reposer de la fatigue du chemin, que pour traicter quelque chose auec cette Nation. Ce fut là où ie trouuay le Pere Nicolas proche le lac, où il m’attendoit. Cette heureuse rencontre et entre-veuë nous resiouyt grandement, et nous nous consolasmes auec quelques François, pendant le peu de seiour que nos gens firent là. Nostre festin fut d’vn peu de poisson que nous auions, et des Citroüilles cuittes dans l’eau, que ie trouuay meilleures que viande que i’aye iamais mangée, tant i’estois abbatu et extenué de necessité, 74|| et puis fallut partir chacun separement à l’ordinaire auec ses gens. Ce peuple Épicerinyen est ainsi surnommé Sorcier, pour le grand nombre qu’il y en a entr’eux, et des Magiciens, qui font profession de parler au Diable en des petites tours rondes et separées à l’escart, qu’ils font à dessein, pour y receuoir