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tousiours sur la terre nuë par les champs, marcher auec grand trauail dans les eaux et lieux fangeux, et en quelques endroicts par des rochers et bois obscurs et touffus, souffrir les pluyes sur le dos, toutes les iniures des saisons et du temps, et la morsure d’vne infinie multitude de Mousquites et Cousins, auec la difficulté de la langue pour pouuoir s’expliquer suffisamment, et manifester ses necessitez, et n’auoir aucun Chrestien auec soy pour se communiquer et consoler au milieu de ses trauaux, bien que d’ailleurs les Sauuages soient toutesfois assez humains (au moins l’estoient les miens) voire plus que ne sont beaucoup de personnes plus polies et moins sauuages ; car me voyant passer plusieurs iours sans pouuoir presque manger de leur Sagamité, ainsi sallement et pauurement accommodée, ils auoient quelque compassion de moy, et m’encourageoient et assistoient au mieux qu’il leur estoit possible, et ce qu’ils pouuoient estoit peu de chose : 65|| cela alloit bien pour moy, qui m’estois resous de bonne heure à endurer de bon cœur tout ce qu’il plairoit à Dieu m’enuoyer ; ou la mort, ou la vie : c’est pourquoy ie me maintenois assez ioyeux, nonobstant ma grande debilité, et chantois souuent des Hymnes pour ma consolation spirituelle, et le contentement de mes Sauuages, qui m’en prioient par-fois, car ils n’ayment point à voir les personnes tristes et chagrines, ny impatientes, pour estre eux-mesmes beaucoup plus patiens que ne sont communement nos François, ainsi l’ay-ie veu en vne infinité d’occasions : ce qui me faisoit grandement rentrer en moy mesme, et admirer leur constance, et le pouuoir qu’ils ont sur leurs propres passions, et