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iusqu’à ce qu’on aborde la terre. Nous y eusmes le plaisir de la pesche des moluës : car c’est le lieu où plus particulierement on y en pesche grande quantité, et sont des meilleures de Terre Neuue : en passant nous y en peschasmes vn grand nombre, et quelques Flettans fort gros, qui est vn fort bon poisson ; mais il faict grandement la guerre aux moluës, qu’il mange en quantité, bien que sa gueule soit petite, à proportion de son corps, qui est presque faict en la forme d’vn turbot ou barbue, mais dix fois plus grand : ils sont fort bons à manger grillés et 32|| bouillis par tranches. Cela est admirable, combien les moluës sont aspres à aualler ce qu’elles rencontrent et leur vient au deuant, soit l’amorce, fer, pierre, ou toute autre chose qui tombe dans la mer, que l’on retrouue par-fois dans leur ventre, quand elles ne le peuuent reuomir, c’est la cause pourquoy l’on en prend si grand quantité : car à mesme temps qu’elles apperçoiuent l’amorce, elles l’engloutissent ; mais il faut estre soigneux de tirer promptement la ligne, autrement elles reuomissent l’ain, et s’eschappent souuent.

Je ne sçay d’où en peut procéder la cause, mais il fait continuellement vn broüillas humide, froid et pluuieux sur ce Grand-Banc, aussi bien en plein Esté comme en Automne, et hors dudict Banc il n’y a rien de tout cela, c’est pourquoy il y feroit grandement ennuyeux et triste, n’estoit le divertissement et la recreation de la pesche. Vne chose, entr’autres, me donnoit bien de la peine lors que ie me portois mal : vne grande enuie de boire vn peu d’eau douce, et nous n’en auions point, par ce que la nostre estoit