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Capitaine, où le lisois pour mon contentement spirituel, les Meditations de S. Bonauenture, le dict Père n’ayant pas encore acheué son Office, le disoit à genoüils, proche la fenestre qui regarde sur la gallerie, qu’à mesme temps vn coup de mer rompit vn aiz du siege de la chambre, entre dedans, sousleue vn peu en l’air ledit Pere, et m’enueloppe une partie du corps, ce qui m’esbloüit toute la veuë : neantmoins, sans autrement m’estonner, ie me leue diligemment d’où i’estois assis, à tastons, i’ouure I 9|| la porte pour donner cours à l’eau, me ressouuenant auoir ouy dire qu’vn Capitaine auec son fils, se trouuerent vn iour noyez par vn coup de mer qui entra dans leur chambre. Nous eusmes aussi par fois des ressaques iusqu’au grand mast, qui sont des coups tres-dangereux pour enfoncer vn nauire dans l’abysme des eauës. Quand, la tempeste nous prit nous estions bien auant au delà des Isles Açores, qui sont au Roy d’Espagne, desquelles nous n’approchasmes pas plus prés que d’vne iournée.

Ordinairement, apres vne grande tempeste vient vn grand calme, comme en effet nous en auions quelquesfois de bien importuns, qui nous empeschoient d’aduancer chemin, durant lesquels les Matelots ioüoient et dansoient sur le tillac ; puis quand on voyoit sortir de dessous l’horizon vn nuage espais, c’estoit lors qu’il falloit quitter ces exercices, et se prendre garde d’vn grain de vent qui estoit enueloppé là dedans, lequel se desserrant, grondant et sifflant, estoit capable de renuerser nostre vaisseau sens dessus-dessous, s’il n’y eust eu des gens prests à executer ce que le maistre du nauire leur com-