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d’eau, comme a esté du depuis le bon Pere Nicolas et vn ieune garçon François nostre disciple, qui le suyuoit de pres dans vn autre Canot, pour ce que ces dangers et perils sont tellement frequents et journaliers, qu’en les descriuans tous, ils sembleroient des redites par trop rebatuës ; c’est pourquoi ie me contente d’en, rapporter icy quelques-vns, et lors seulement que le suject m’y oblige, et cela suffira.

Le soir, après vn long trauail, nous cabanasmes à l’entrée d’un saut, d’où ie fus long-temps en doute que vouloit dire un grand bruit, auec vne grande et obscure fumée que i’apperceuois enuiron vne lieuë de nous. Ie disois, ou qu’il y auoit là vn village, ou que le feu estoit dans la forest ; mais ie me trompois en toutes les deux sortes : car ce grand bruit et cette fumée procedoit d’vne cheute d’eau de vingt-cinq ou trente pieds de haut entre des rochers que nous trouuasmes le len-351||demain matin. Apres ce saut, enuiron la portée d’vne arquebuzade, nous trouuasmes sur le bord de l’eau ce puissant rocher, duquel i’ay faict mention au chapitre 18. que mes Sauuages croyoient auoir esté homme mortel comme nous, et puis deuenu et metamorphosé en cette pierre, par la permission et le vouloir de Dieu : à vn quart de lieuë de là, nous trouuasmes encore une terre fort haute, entre-meslée de rochers, plate et unie au dessus, et qui seruoit comme de borne et de muraille à la riuiere.

Ce fut icy où mes gens, pour ne me pouuoir persuader que cette montagne eust vn esprit mortel au dedans de soy qui la gouuernast et regist, me monstrerent vne mine vn peu refroignée et mescontente,