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et tous ensemble fusmes loger en vn village d’Algoumequins, auquels visitans les Cabanes du lieu, selon ma coustume, ie fus prié de festin d’vn grand Esturgeon, qui bouillait dans une grande chaudiere sur le feu. Le maistre du festin qui m’inuita estoit seul, assis aupres de cette chaudiere, et chantoit sans intermission, pour le bon-heur et les louanges de son festin : ie luy promis de m’y trouuer à l’heure ordonnée, et de là ie m’en retournay en nostre Cabane, où estant à peine arrivé, se trouua celuy qui auoit charge de faire les semonces du festin, qui donna à tous ceux342||qu’il inuitoit à chacun vne petite buchette de la longueur et grosseur du petit doigt, pour marque et signe qu’on estoit du nombre des invitez, et non les autres qui n’en pouuoient monstrer autant. Il se trouva pres de cinquante hommes à ce festin, lesquels furent tous rassasiez plus que suffisamment de ce grand poisson, et des farines qui furent accommodées dans le bouillon. Les Algoumequins les vns apres les autres, pendant qu’on vuidoit la chaudiere, firent voir à nos Hurons qu’ils sçauoient chanter et escrimer aussi bien qu’eux, et que s’ils auoient des ennemis, qu’ils auoient aussi du courage et de la force assez pour les surmonter tous ; et à la fin ie leur parlay vn peu de leur salut, puis nous nous retirasmes.

Le lendemain matin, après avoir desieuné, nous nous rembarquasmes et fusmes loger sur un grand rocher, où ie m’accommoday dans vn lieu caué, en forme de cercueil, le lict et le cheuet en estoient bien durs ; mais i’y estois desia tout accoustumé, et m’en souciois assez peu, mon plus grand martyre estoit