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nous partismes le lendemain moy sixiesme, dans vn Canot tellement vieil et rompu, qua peine eusmes-nous aduancé deux ou trois heures de chemin dans le Lac, qu’il nous fallut prendre terre et nous cabaner en vn cul-de-sac (auec d’autres Sauuages qui alloient au Saguenay) pour en renuoyer querir vn autre par deux de nos hommes, lesquels firent telle diligence qu’ils nous en ramenerent vn autre vn peu meilleur le lendemain matin, et en attendant leur retour, apres auoir servy Dieu, i’employay le reste du temps à voir et visiter tous ces pauures voyageurs, desquels i’appris la sobrieté, la paix et la patience qu’il faut auoir en voyageant. Leurs Canots estoient fort petits et aysez à tourner, aux plus grands il y pouuoit trois hommes, et aux plus petits deux, auec leurs viures et marchandises. Ie leur demanday la raison pourquoy ils se seruoient de si petits vaisseaux ; mais ils me firent entendre qu’ils auoient tant de si fascheux chemins à faire, et des destroicts parmy les rochers si difficiles à passer, auec des sauts de sept à huict lieuës341||où il falloit tout porter, qu’ils n’y porroient nullement passer auec de plus grands Canots. Ie loüe Dieu en ses creatures et admire la diuine Prouidence, que si bien il nous donne les choses necessaires pour la vie du corps, il doüe aussi ces pauures gens d’vne patience au dessus de nous, qui suplée au deffaut des petites commoditez qui leur manquent.

Nous partismes de là des que le Canot qui nous avait esté amené fut prest, et fismes telle diligence, qu’enuiron le midy nous trouuasmes Estienne Bruslé auec cinq ou six Canots, du village de Toenchain,