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de quoy butiner, et se faire riches ce iour-là en l’autre vie.

Chrestiens, r’entrons vn peu en nous-mesmes, et voyons si nos ferueurs sont aussi grandes enuers les ames de nos parens detenuës dans les prisons de Dieu, que celles des pauures Sauuages enuers les âmes de leurs semblables deffuncts, et nous trouuerons que leurs ferueurs surpassent les nostres, et qu’ils ont plus d’amour l’vn pour l’autre, et en la vie et après la mort, que nous, qui nous disons plus sages, et le sommes moins en effect, parlant de la fidelité et de l’amitié simplement : car s’il est question de donner l’aumosne, ou faire quelqu’autre œuure pieuse pour les viuans ou deffuncts, c’est souuent auec tant de peine et de repugnance, qu’il semble à plusieurs qu’on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils294||ont de difficulté à bien faire, au contraire de nos Hurons et autres peuples Sauuages, lesquels font leurs presents, et donnent leurs aumosnes pour les viuans et pour les morts, auec tant de gayeté et si librement, que vous diriez à les voir qu’ils n’ont rien plus en recommandation, que de faire du bien, et assister ceux qui sont en necessité, et particulierement aux ames de leurs parens et amis deffuncts, ausquels ils donnent le plus beau et meilleur qu’ils ont, et s’en incommodent quelques-fois grandement, et y a telle personne qui donne presque tout ce qu’il a pour les os de celuy ou celle qu’il a aymée et cherie en cette vie, et ayme encore apres la mort : tesmoin Ongyata, qui pour auoir donné et enfermé auec le corps de sa deffuncte femme (sans nostre sceu) presque tout ce qu’il auoit, en demeura tres-pauure et incommodé,