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des Escureux il y en auoit telle quantité, de Suisses, et autres communs, qu’ils endommageoient grandement la seicherie du poisson, bien qu’on taschast de les en chasser par la voix, le bruit des mains, et à coups de flesches, et estans saouls ils ne faisoient que ioüer et 261|| courir les vns apres les autres, soir et matin. Il y auoit aussi des Perdrix, vne desquelles s’en vint vn iour tout contre moy en vn coin où ie disois mon Office, et m’ayant regardé en face s’en retourna à petit pas comme elle estoit venue, faisant la roue comme vn petit coq d’Inde, et tournant continuellement la teste en arrière, me regardoit et contemploit doucement sans crainte, aussi ne voulus-ie point l’espouuenter ny mettre la main dessus, comme ie pouuois faire, et la laissay aller.

Vn mois et plus s’estant escoulé, et le grand poisson changeant de contrée, il fut question de trousser bagage, et retourner chacun en son village : vn matin que l’on pensoit partir, la mer se trouua fort haute, et les Sauuages timides n’osans se hazarder dessus, me vindrent trouuer, et me supplierent de sortir de la Cabane pour voir la mer, et leur dire ce qu’il m’en sembloit, et ce qu’il estoit question de faire ; pour ce que tous les Sauuages ensemble s’estoient resolus de faire en cela tout ce que ie leur dirois et conseillerois. I’auois desia veu la mer ; mais pour les contenter il me fallut derechef sortir dehors, pour considérer s’il y auoit peril de s’embarquer 162|| ou non. O bonté infinie de nostre Seigneur, il me semble que i’auois la foy au double que ie n’en ay pas icy ! Ie leur dis : Il est vray qu’il y a à present grand danger sur mer ; mais que personne pourtant ne laisse de fretter ses Canots