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et la peine et les ains de ceux qui les auoient iettez en mer : car veritablement il y a dans cette mer douce des Esturgeons, Assihendos, Truites et Brochets si monstrueusement grands, qu’il ne s’en voit point ailleurs de plus gros, non plus que de plusieurs autres especes de poissons qui nous sont icy incogneus. Et cela ne nous doit estre tiré en doute, puis que ce grand Lac, ou mer douce des Hurons, est estimé auoir trois ou quatre cens lieues de longueur, de l’Orient à l’Occident, et enuiron cinquante de large, contenant vne infinité d’Isles, ausquelles les Sauuages cabanent quand ils vont à la pesche, ou en voyage aux autres Nations qui bordent cette mer douce. Nous iettasmes la sonde vers nostre bourg, assez proche de terre en vn cul-de-sac, et trouuasmes quarante-huict 260|| brasses d’eau ; mais il n’est pas d’vne egale profondeur par tout : car il l’est plus en quelque lieu, et moins de beaucoup en d’autre.

Lors qu’il faisoit grand vent, nos Sauuages ne portoient point leurs rets en l’eau, par ce qu’elle s’esleuoit et s’enfloit alors trop puissamment, et en temps d’vn vent mediocre, ils estoient encore tellement agitez, que c’estoit assez pour me faire admirer, et grandement louer Dieu que ces pauures gens ne perissoient point, et sortoient auec de si petits Canots du milieu de tant d’ondes et de vagues furieuses, que ie contemplois à dessein du haut d’vn rocher, où ie me retirois seul tous les iours, ou dans l’espaisseur de la forest pour dire mon Office, et faire mes prieres en paix.

Cette Isle estoit assez abondante en gibier, Outardes, Canards, et autres oyseaux de riuiere : pour