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cette passion. Et appelant la Desgranges : « Viens, bougresse impure, lui dit-il, viens toi qui ressembles si bien à celle qu’on vient de peindre, viens me procurer le même plaisir qu’elle donna au commandeur. » La Desgranges approche, Durcet, ami de ces excès, aide au président à la mettre nue. D’abord, elle fait quelques difficultés ; on se doute du fait, on la gronde de cacher une chose qui va la faire chérir davantage de la société. Enfin, son dos flétri paraît et montre, par un V et un M, qu’elle a deux fois subi l’opération déshonorante dont les vestiges allument néanmoins si complètement les impudiques désirs de nos libertins. Le reste de ce corps usé et flétri, ce cul de taffetas chiné, ce trou infect et large qui s’y montre au milieu, cette mutilation d’un téton et de trois doigts, cette jambe courte qui la fait boiter, cette bouche édentée, tout cela échauffe, anime nos deux libertins. Durcet la suce par-devant, Curval par-derrière, et tandis que des objets de la plus grande beauté et de la plus extrême fraîcheur sont là sous leurs yeux, prêts à satisfaire leurs plus légers désirs, c’est avec ce que la nature et le crime ont déshonoré, ont flétri, c’est avec l’objet le plus sale et le plus dégoûtant que nos deux paillards en extase vont goûter les plus délicieux plaisirs… Et qu’on explique l’homme, après cela ! Tous deux semblant se disputer ce cadavre anticipé, tels que deux dogues acharnés sur une charogne, après s’être livrés aux plus sales excès, dégorgent à la fin leur foutre, et malgré l’épuisement où ce plaisir les met, peut-être en eussent-ils à l’instant repris de nouveaux, quoique dans le même genre de crapule et d’infamie, si l’heure du souper ne fût pas les avertir de s’occuper d’autres plaisirs. Le président, désespéré d’avoir perdu son foutre et qui, dans ces cas-là, ne se ranimait jamais que par des excès de mangeaille et de boisson, se gonfla comme un véritable pourceau. Il voulut que le petit Adonis branlât Bande-au-ciel, et lui fit avaler le foutre, et peu content de cette dernière infamie qu’on exécuta sur-le-champ, il se leva, dit que son imagination lui suggérait des choses plus délicieuses que tout cela, et, sans s’expliquer davantage, il entraîna avec lui Fanchon, Adonis et Hercule, fut s’enfermer dans le boudoir du fond et ne reparut qu’aux orgies ; mais dans un état si brillant, qu’il y fut encore en état d’y procéder à mille autres horreurs, toutes plus singulières les unes que les autres, mais que l’ordre essentiel que nous nous sommes proposé ne nous permet pas encore de peindre à nos lecteurs. On fut se coucher, et Curval, l’inconséquent Curval qui, ayant, cette nuit-là, la divine Adélaïde, sa fille, pour partage, pouvait passer avec elle la plus délicieuse des nuits, fut trouvé le lendemain matin vautré sur la dégoûtante Fanchon, avec laquelle il avait fait de nouvelles horreurs toute la nuit, tandis qu’Adonis et Adélaïde, privés de leur couche, étaient l’un dans un petit lit fort éloigné et l’autre à terre sur un matelas.