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elle eut lieu, ses nerfs tressaillirent, ses yeux s’allumèrent ; il eût été effrayant pour tout autre que pour ceux qui connaissaient quels étaient sur lui les effets terribles de la volupté. Enfin le foutre échappa et coula sur les fesses de Cupidon, qu’à ce dernier moment on eut soin de placer au-dessous de son petit camarade, pour recevoir des preuves de virilité qui ne lui étaient pourtant point dues. L’heure des narrations vint, on s’arrangea. Par une assez singulière disposition prise, tous les pères avaient ce jour-là leur fille sur leurs canapés ; on ne s’en effraya point, et Duclos reprit en ces termes :

« Comme vous n’avez point exigé, messieurs, que je vous rendisse un compte exact de ce qui m’arriva jour par jour chez Mme Guérin, mais simplement des événements un peu singuliers qui ont pu marquer quelques-uns de ces jours, je passerai sous silence plusieurs anecdotes peu intéressantes de mon enfance, qui ne vous offriraient que des répétitions monotones de ce que vous avez déjà entendu, et je vous dirai que je venais d’atteindre ma seizième année, non sans une très grande expérience du métier que j’exerçais, lorsqu’il me tomba en partage un libertin dont la fantaisie journalière mérite d’être rapportée. C’était un grave président, âgé de près de cinquante ans et qui, s’il faut en croire Mme Guérin, qui me dit le connaître depuis bien des années, exerçait régulièrement tous les matins la fantaisie dont je vais vous entretenir. Sa maquerelle ordinaire, venant de se retirer, l’avait recommandé avant aux soins de notre chère mère, et ce fut avec moi qu’il débuta chez elle. Il se plaçait seul au trou dont je vous ai parlé. Dans la chambre qui y répondait se trouvait un crocheteur ou un Savoyard, un homme du peuple enfin, mais propre et sain ; c’était tout ce qu’il désirait : l’âge et la figure n’y faisaient rien. Je fus sous ses yeux, et le plus près du trou possible, branler cet honnête manant, prévenu et qui trouvait fort doux de gagner ainsi de l’argent. Après m’être prêtée sans aucune restriction, à tout ce que le cher homme pouvait désirer de moi, je le fis décharger dans une soucoupe de porcelaine et, le plantant là dès qu’il avait répandu la dernière goutte, je passais précipitamment dans l’autre chambre. Mon homme m’y attend en extase, il se jette sur la soucoupe, avale le foutre tout chaud ; le sien coule ; d’une main j’excite son éjaculation, de l’autre je reçois précieusement ce qui tombe et, à chaque jet, portant ma main fort vite à la bouche du paillard, je lui fais, le plus lestement et le plus adroitement que je peux, avaler son foutre à mesure qu’il le répand. C’était là tout. Il ne me toucha ni ne me baisa, il ne me troussa seulement pas, et, se relevant de son fauteuil avec autant de flegme qu’il venait de montrer de chaleur, il prit sa canne et se retira, en disant que je branlais fort bien et que j’avais fort bien saisi son genre. Le lendemain, on ramena un autre homme, car il fallait l’en changer tous les jours, ainsi que de femme. Ma sœur l’opéra ; il sortit content, pour recommencer le jour d’ensuite ; et, pendant tout le temps que j’ai été chez Mme Guérin, je ne l’ai pas vu une seule fois