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(VIII)

Quatrième journée

Les amis étant bien aises de distinguer à tout instant de la journée ceux des jeunes gens, soit en filles, soit en garçons, dont les pucelages devaient leur appartenir, décidèrent de leur faire porter, dans tous leurs divers ajustements, un ruban à leurs cheveux qui indiquât à qui ils appartenaient. En conséquence, le duc adopta le rose et le vert, et tout ce qui aurait un ruban rose par-devant lui appartiendrait pour le con, de même que tout ce qui en porterait un vert par-derrière serait à lui pour le cul. De ce moment Fanny, Zelmire, Sophie et Augustine prirent un nœud rose dans un des côtés de leur coiffure, et Rosette, Hébé, Michette, Giton et Zéphire en placèrent un vert dans le derrière de leurs cheveux, pour preuve des droits que le duc avait sur leurs culs. Curval prit le noir pour le devant et le jaune pour le derrière, de façon que Michette, Hébé, Colombe et Rosette portèrent toujours à l’avenir un nœud noir en devant, et Sophie, Zelmire, Augustine, Zélamir et Adonis en placèrent un jaune au chignon. Durcet marqua le seul Hyacinthe d’un ruban lilas par-derrière, et l’évêque, qui n’avait pour lui que cinq prémices sodomites, ordonna à Cupidon, Narcisse, Céladon, Colombe et Fanny d’en porter un violet par-derrière. Jamais, quelque ajustement qu’on eût, ces rubans ne devaient se quitter, et d’un coup d’œil, en voyant une de ces jeunes personnes d’une telle couleur par-devant et d’une autre par-derrière, on distinguait tout de suite qui avait des droits sur son cul et qui en avait sur son con. Curval, qui avait passé la nuit avec Constance, s’en plaignit vivement le matin. On ne sait trop sur quoi roula le motif de ses plaintes ; il faut si peu de chose pour déplaire à un libertin. Tant il y a qu’il allait la faire mettre en punition pour le samedi prochain, lorsque cette belle personne déclara qu’elle était grosse, car Curval, le seul qu’on eût pu en soupçonner, avec son mari, ne l’avait connue charnellement que depuis les commencements de cette partie, c’est-à-dire depuis quatre jours. Cette nouvelle amusa beaucoup nos libertins par les voluptés clandestines qu’ils virent bien qu’elle leur procurerait. Le duc n’en revenait pas. Quoi qu’il en soit, l’événement lui valut l’exemption de la peine qu’elle eût dû subir sans cela pour avoir déplu à Curval. On voulait laisser mûrir la poire, une femme grosse les divertissait, et ce qu’ils s’en promettaient pour les suites amusait encore bien plus lubriquement leur perfide imagination. On la dispensa du