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enfin qu’il ne pouvait réussir, il se jeta presque en fureur sur ma sœur. “Eh bien, petite putain ! lui dit-il, satisfais-moi donc au moins encore une fois, avant que je ne te quitte.” Et, déboutonnant sa culotte, il se mit à cheval sur elle, qui ne s’y opposa point, persuadée qu’en le laissant satisfaire sa passion elle s’en débarrasserait plus tôt. Et le paillard, la fixant sous lui de ses genoux, vint secouer un engin dur et assez gros à quatre lignes de la superficie du visage de ma sœur. “Le beau visage, s’écria-t-il, la jolie petite figure de putain ! Comme je vais l’inonder de foutre ! Ah sacredieu !” Et dans l’instant les écluses s’ouvrirent, le sperme éjacula, et toute la physionomie de ma sœur, et principalement le nez et la bouche, se trouvèrent couverts des preuves du libertinage de notre homme, dont la passion peut-être ne se fût pas satisfaite à si bon marché, si son projet avait réussi. Le religieux plus calme ne songea plus qu’à s’échapper. Et après nous avoir jeté un écu sur la table et rallumé sa lanterne : “Vous êtes de petites imbéciles, vous êtes de petites gueuses, nous dit-il, vous manquez votre fortune. Puisse le ciel vous en punir en vous faisant tomber dans la misère et puissé-je avoir le plaisir de vous y voir pour ma vengeance : voilà mes derniers vœux.” Ma sœur, qui s’essuyait le visage, lui rendit bientôt toutes ses sottises, et notre porte se refermant pour ne plus s’ouvrir qu’au jour, nous passâmes au moins le reste de la nuit tranquilles. “Ce que tu as vu, dit ma sœur, est une de ses passions favorites. Il aime à la folie à décharger sur le visage des filles. S’il s’en tenait là… bon ; mais le coquin a bien d’autres goûts et de si dangereux que je crains bien…” Mais ma sœur, que le sommeil gagnait, s’endormit sans finir sa phrase, et le lendemain ramenant d’autres aventures nous ne pensâmes plus à celle-là. Dès le matin nous nous levâmes et, nous ajustant de notre mieux, nous nous transportâmes chez Mme Guérin. Cette héroïne demeurait rue Soli, dans un appartement fort propre, au premier, qu’elle partageait avec six grandes demoiselles de seize à vingt-deux ans, toutes très fraîches et très jolies. Mais vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je ne vous les dépeigne, messieurs, qu’à mesure que cela deviendra nécessaire. La Guérin, enchantée du projet qui amenait ma sœur chez elle, depuis le temps qu’elle la désirait, nous reçut et nous logea toutes deux avec le plus grand plaisir. “Toute jeune que vous voyiez cette enfant, lui dit ma sœur en me montrant, elle vous servira bien, je suis sa caution. Elle est douce, gentille, a un fort bon caractère et le putanisme le plus décidé dans l’âme. Vous avez beaucoup de paillards parmi vos connaissances qui veulent des enfants, en voilà une comme il leur faut… employez-la.” La Guérin, se tournant vers moi, me demanda alors si j’étais déterminée à tout. “Oui madame, lui répondis-je avec un petit air effronté qui lui fit plaisir, à tout, pour gagner de l’argent.” On nous présenta à nos nouvelles compagnes dont ma sœur était déjà très connue et qui, par amitié pour elle, lui promirent d’avoir soin de moi. Nous dînâmes toutes ensemble, et telle fut en un mot, messieurs, ma première installation au bordel.

« Je ne devais pas y être longtemps sans y trouver pratique. Dès le soir même, il nous arriva un vieux négociant, empaqueté dans un manteau,