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pâtisserie froide, qui céda bientôt la place à vingt-six entremets de toutes figures et de toutes formes. On desservit et on remplaça ce qui venait d’être enlevé par une garniture complète de pâtisseries sucrées, froides et chaudes. Enfin, parut le dessert, qui offrit un nombre prodigieux de fruits, malgré la saison, puis les glaces, le chocolat et les liqueurs qui se prirent à table. À l’égard des vins, ils avaient varié à chaque service : dans le premier le bourgogne, au second et au troisième deux différentes espèces de vins d’Italie, au quatrième le vin du Rhin, au cinquième des vins du Rhône, au sixième le champagne mousseux et des vins grecs de deux sortes avec deux différents services. Les têtes s’étaient prodigieusement échauffées. On n’avait pas au souper, comme au dîner, la permission de morigéner autant les servantes : celles-ci, étant la quintessence de ce qu’offrait la société, devaient être un peu plus ménagées, mais en revanche, on se permit avec elles une furieuse dose d’impuretés. Le duc, à moitié ivre, dit qu’il ne voulait plus boire que de l’urine de Zelmire, et il en avala deux grands verres qu’il lui fit faire en la faisant monter sur la table, accroupie sur son assiette. « Le bel effort, dit Curval, que d’avaler du pissat de pucelle ! » et appelant Fanchon à lui : « Viens, garce, lui dit-il, c’est à la source même que je veux puiser. » Et penchant sa tête entre les jambes de cette vieille sorcière, il avala goulûment les flots impurs de l’urine empoisonnée qu’elle lui darda dans l’estomac. Enfin, les propos s’échauffèrent, on traita différents points de mœurs et de philosophie, et je laisse au lecteur à penser si la morale en fut bien épurée. Le duc entreprit un éloge du libertinage et prouva qu’il était dans la nature et que plus ses écarts étaient multipliés, mieux ils la servaient. Son opinion fut généralement reçue et applaudie, et on se leva pour aller mettre en pratique les principes qu’on venait d’établir. Tout était prêt dans le salon des orgies : les femmes y étaient déjà, nues, couchées sur des piles de carreaux à terre, pêle-mêle avec les jeunes gitons sortis de table à ce dessein un peu après le dessert. Nos amis s’y rendirent en chancelant, deux vieilles les déshabillèrent, et ils tombèrent au milieu du troupeau comme des loups qui assaillent une bergerie. L’évêque, dont les passions étaient cruellement irritées par les obstacles qu’elles avaient rencontrés à leur saillie, s’empara du cul sublime d’Antinoüs pendant qu’Hercule l’enfilait et, vaincu par cette dernière sensation et par le service important et si désiré qu’Antinoüs lui rendit sans doute, il dégorgea à la fin des flots de semence si précipités et si âcres qu’il s’évanouit dans l’extase. Les fumées de Bacchus vinrent achever d’enchaîner des sens qu’engourdissait l’excès de la luxure, et notre héros passa de l’évanouissement à un sommeil si profond qu’on fut obligé de le porter au lit. Le duc s’en donna de son côté. Curval, se ressouvenant de l’offre qu’avait faite la Martaine à l’évêque, la somma d’accomplir cette offre et s’en gorgea pendant qu’on l’enculait. Mille autres horreurs, mille autres infamies accompagnèrent et suivirent celles-là, et nos trois braves champions, car l’évêque n’était plus de ce monde, nos valeureux athlètes, dis-je, escortés des quatre fouteurs du service de nuit, qui n’étaient point là