Page:Sade - Les 120 journées de Sodome (édition numérique).djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— Page 55 —

descendirent au salon où, pendant que les femmes dînaient, ils jasèrent entre eux jusqu’au moment où on les servit. Les quatre amis se placèrent chacun entre deux fouteurs, suivant la règle qu’ils s’étaient imposée de n’admettre jamais de femmes à leur table, et les quatre épouses nues, aidées de vieilles vêtues en sœurs grises, servirent le plus magnifique repas et le plus succulent qu’il fût possible de faire. Rien de plus délicat et de plus habile que les cuisinières qu’ils avaient emmenées, et elles étaient si bien payées et si bien fournies que tout ne pouvait aller qu’à merveille. Ce repas devant être moins fort que le souper, on se contenta de quatre services superbes, chacun composé de douze plats. Le vin de Bourgogne parut avec les hors-d’œuvre, on servit le bordeaux aux entrées, le champagne aux rôtis, l’hermitage à l’entremets, le tokay et le madère au dessert. Peu à peu les têtes s’échauffèrent. Les fouteurs, auxquels on avait en ce moment-là accordé tous les droits sur les épouses, les maltraitèrent un peu. Constance fut même un peu poussée, un peu battue, pour n’avoir pas apporté sur-le-champ une assiette à Hercule, lequel, se voyant très avant dans les bonnes grâces du duc, crut pouvoir pousser l’insolence au point de battre et molester sa femme, dont celui-ci ne fit que rire. Curval, très gris au dessert, jeta une assiette au visage de sa femme, qui lui aurait fendu la tête si celle-ci ne l’eût esquichée. Durcet, voyant un de ses voisins bander, ne fit pas d’autre cérémonie, quoique à table, que de déboutonner sa culotte et de présenter son cul. Le voisin l’enfila et, l’opération faite, on se remit à boire comme si de rien n’était. Le duc imita bientôt avec Bande-au-ciel la petite infamie de son ancien ami et il paria, quoique le vit fût énorme, d’avaler trois bouteilles de vin de sens froid pendant qu’on l’enculerait. Quelle habitude, quel calme, quel sens froid dans le libertinage ! Il gagna sa gageure, et comme il ne les buvait pas à jeun, que ces trois bouteilles tombaient sur plus de quinze autres, il se releva de là un peu étourdi. Le premier objet qui se présenta à lui fut sa femme, pleurant des mauvais traitements d’Hercule, et cette vue l’anima à tel point qu’il se porta sur-le-champ à des excès avec elle qu’il nous est encore impossible de dire. Le lecteur, qui voit comme nous sommes gênés dans ces commencements-ci pour mettre de l’ordre dans nos matières nous pardonnera de lui laisser encore bien des petits détails sous le voile. Enfin on passa dans le salon, où de nouveaux plaisirs et de nouvelles voluptés attendaient nos champions. Là, le café et les liqueurs leur furent présentés par un quadrille charmant : il était composé en beaux jeunes garçons d’Adonis et d’Hyacinthe, et en filles de Zelmire et Fanny. Thérèse, une des duègnes, les dirigeait, car il était de règle que partout où deux ou trois enfants se trouvaient réunis, une duègne devait les conduire. Nos quatre libertins, à moitié ivres, mais résolus pourtant d’observer leurs lois, se contentèrent de baisers, d’attouchements, mais que leur tête libertine sut assaisonner de tous les raffinements de la débauche et de la lubricité. On crut un moment que l’évêque allait perdre du foutre à des choses très extraordinaires qu’il exigeait de Hyacinthe, pendant que Zelmire le branlait.